Démantèlement du « réseau Eric Favre » : coup dur pour le bodybuilding en France et au Maghreb

 Démantèlement du « réseau Eric Favre » : coup dur pour le bodybuilding en France et au Maghreb


Stupeur ce weekend à Nice avec l’annulation pure et simple, à 24 heures de son coup d’envoi, de ce qui devait être la plus grande messe du bodybuilding amateur et professionnel jamais tenue sur le territoire français. L’incarcération surprise de l’emblématique patron et bailleur de fonds Eric Favre cause un séisme dans le monde sportif, dont l’onde de choc atteint jusque la Tunisie.



Eric Favre avec ses deux fils Jonathan et Mathieu, également mis en cause par le parquet lyonnais


 



L’une des « teams » qui s’était préparée durant plusieurs mois, réduite à poser dans les rues de Nice, dédie un hommage à Eric Favre


 


L’évènement d’envergure internationale, organisé aux prestigieux Palais des Congrès et des Expositions Nice Acropolis et le Musée National du Sport de Nice, devait aussi être la consécration d’un homme, dont le festival éponyme annulé porte le nom : Eric Favre (56 ans).


Outre les 250 athlètes enregistrés qui se préparaient pour certains depuis 6 à 12 mois pour cette compétition, l’event tirait son importance du fait qu’il était qualificatif pour « 6 cartes pro » IFBB, la plus grande fédération mondiale de culturisme, ainsi que de la présence du champion Olympia en titre Shawn Rhoden, et de Jim Manion, président de la NPC, plus grande fédération américaine de bodybuilding.


Symboliquement, l’évènement mettait en avant son caractère inédit en France, et pour cause : l’hexagone traine une réputation d’orthodoxie éthique et de prudence en la matière, connu pour être l’un des pays occidentaux les plus rétifs et en retard en matière de bodybuilding, discipline souvent diabolisée selon un consensus assez français.


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Coup de filet, et volonté politique


Mais voilà, dès le 9 avril, le fondateur de l’entreprise les « Trois chênes » Eric Favre (un labo présent dans 70 pays, employant 165 personnes et générant un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros), son PDG, ainsi qu’une vingtaine de personnes sont interpellées au petit matin, la plupart à leurs hôtels respectifs à Nice. 8 d’entre elles ont été déférées depuis à Lyon, dans le cadre du démantèlement d’un trafic international présumé de produits dopants, ​selon le parquet. D'aucuns spéculent que la police aurait voulu profiter du regroupement d'un maximum de suspects dans un même endroit.


Employant de gros moyens sécuritaires français, belges et luxembourgeois, aidés du Groupe d’Intervention Régional (GIR) Rhône-Alpes, un corps d’élite qui associe policiers et gendarmes dans la lutte contre l’économie souterraine et la délinquance organisée, les arrestations ont eu lieu simultanément dans le Rhône, en région parisienne, à Nice, à Bordeaux, à Mulhouse, en Belgique et au Luxembourg. Les dirigeants d’un groupe de sociétés organisant le trafic et « plusieurs champions de culturisme sponsorisés par cette structure » font partie des mis en cause, a ajouté le parquet de Lyon.


Des perquisitions ont parallèlement permis de saisir environ 134.000 euros en espèces et de nombreux produits anabolisants, des stéroïdes et des hormones de croissance, précise le parquet dans un communiqué. Relativement ancienne, l’affaire a démarré selon l’AFP par l’interception, dès septembre 2016 par les douanes de l’aéroport de Roissy-CDG, d’un colis contenant des produits anabolisants en provenance de Thaïlande et destinés à un individu domicilié dans le Rhône.


Selon le quotidien régional Le Progrès, le premier à révéler les noms des suspects, Éric Favre a été mis en examen jeudi soir 11 avril dans le cadre de cette affaire et placé en détention provisoire, une mesure sévère, selon la défense de Favre. L’actuel PDG du laboratoire, Hubert Jaricot, également mis en examen, a quant à lui seulement été placé sous contrôle judiciaire. Six autres personnes ont été mises en examen à Lyon. Les suspects encourent la bagatelle de dix ans d’emprisonnement.


 


Le bodybuilding, maillon faible et visible des sports dopés


Conjugué au timing particulier et au mépris des retombées économiques pour la ville de Nice, ce déploiement de force, qui n’a d’égal que les opérations anti terroristes, fait conclure aujourd’hui à de nombreux acteurs et pratiquants de ce sport que les autorités et une partie des élites françaises entendent envoyer un message aussi clair que disproportionné selon eux : « nous ne voulons pas du bodybuilding en France ».


Un signal qu’ils considèrent teinté d’idéologie, pour un sport qui n’aura finalement jamais pu décoller en France. « Une hypocrisie » aussi pour Marvel Fitness, qui comme de nombreux autres Youtubeurs dénonce un scandaleux deux poids deux mesures : « le dopage prospère dans la plupart des sports, sans que l’on n’ose jamais toucher aux barons et aux fournisseurs. Le bodybuilding, qui génère très peu d’argent pour les athlètes, est quant à lui éradiqué à dessein. C’est la fin du bodybuilding en France. Plus personne n’y mettra les pieds pour une compétition similaire ».      


D’autres encore avancent l’hypothèse d’une « guerre des fédérations », accusant une fédération rivale d’avoir fait saboter l’évènement et précipité ce démantèlement, sur fond de délation et de bataille du monopole d’une discipline en pleine expansion. Une piste à laquelle fait allusion RX Muscle, une émission de référence aux Etats-Unis, où l’annulation du festival fait aussi la Une des médias spécialisés qui raillent le « sens des priorités » des autorités françaises aux prises avec « la révolution des gilets jaunes ».    


 


Des PME tunisiennes, victimes collatérales  


Dans les boutiques spécialisées et les salles de sport de Tunis, où les compléments alimentaires Eric Favre sont vendus depuis plusieurs années, la nouvelle s’est rapidement propagée. La page Eric Favre Tunisie compte déjà une vingtaine de milliers d’abonnés. Connu dans le milieu du culturisme tunisien, Ichrak Chandoul, athlète et coach sportif, nous apprend qu’Eric Favre est un habitué de la Tunisie où il était encore présent en février dernier en marge de l’Olympia Tunisia pro qualifier.


Dès le mois de mars dernier, deux des partenaires de Chendoul s’étaient étrangement vu refuser un visa pour se rendre au festival niçois, alors que l’un d’eux, Haythem Laabidi, venait de concourir quelques semaines plus tôt en Italie.   


Contacté également, Haythem Louhichi, l’un des représentants de la marque Eric Favre en Tunisie, reste optimiste pour la suite des hostilités : « La marque a su s’imposer ici en termes de parts de marché, nous comptons prochainement lancer d’autres produits dérivés, et je viens même de passer commande pour un nouvel arrivage », tempère-t-il, tout en pronostiquant qu’Eric Favre « sortira plus fort de cette épreuve ».   


« J'étais en train de me brûler les ailes », aurait reconnu face aux enquêteurs le magnat sportif incarcéré à la prison de Corbas, qui organisait des events jusque dans Dubaï, fauché en pleine ascension. La fin d’un empire pour ce self-made man provincial issu d'une famille d'agriculteurs ? De quoi alimenter du moins pour ses défenseurs le lieu commun selon lequel « en France, on n’aime décidément pas les success stories ».  


 


Seif Soudani


 


Communiqué d’EP2S concernant l’annulation et les possibilités de remboursement 


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Seif Soudani