Stains. « Nous voulons contrebalancer l’idée qu’en banlieue, on ne peut ouvrir que des grecs », Mohamed El Marzouki, patron de l’Alcazar

 Stains. « Nous voulons contrebalancer l’idée qu’en banlieue, on ne peut ouvrir que des grecs », Mohamed El Marzouki, patron de l’Alcazar

Mohamed El Marzouki


A l'Alcazar, un restaurant situé au 10 place Marcel Pointet à Stains (93), on ne plaisante pas avec les règles. Le jeune serveur, issu du centre  jeune apprenti du CFA (centre de formation et d'apprentissage) de Villepinte s'en est vite rendu compte. Vendredi soir, en plein mois de décembre, l'endroit dirigé par les frères El Marzouki est quasi plein. 

 


Mohamed, 46 ans, le plus âgé des frangins lui demande de changer une assiette qu'il vient de déposer sur la table d'un client parce qu'elle est légèrement ébréchée. A l'œil nu, ça se voit à peine. "Tous les détails sont importants. Il ne faut rien laisser passer", insiste Mohamed, titulaire par ailleurs d'une maîtrise en économie et gestion et également consultant dans le digital


L'Alcazar est un ovni à Stains. Dans cette commune populaire de 30 000 habitants, au nord de Paris, il n'y a quasiment que des fast-food. C'est justement pour cette raison que les frères El Marzouki, originaires du coin, ont décidé d'ouvrir il y a tout juste un an un restaurant bistronomique (contraction entre bistrot et gastronomie) 100% halal en plein cœur de la Seine-Saint-Denis. Presque un acte militant. "On aimerait contrebalancer l'idée qu'en banlieue, on ne peut ouvrir que des grecs et que les habitants n'auraient pas envie d'autre chose", tacle Mohamed. "Nous misons sur du long terme et sur le Grand Paris. Si un restaurant n’était qu'une histoire à faire de l'argent, on serait allé sur Paris mais c'est avant tout une aventure et pour nous, un véritable challenge", ajoute-t-il.



Le fait d'être un peu loin de la capitale, est-il un handicap ? "Pas vraiment", répond ce dernier. "C'est vrai : Stains n'est pas Paris", reconnaît – il. "Mais quand on cherche la qualité, on fait l'effort de se déplacer. De toute manière, les banlieusards prennent souvent la voiture pour aller à Paris donc ils n'auront aucun mal à venir jusqu'à chez nous. Je vais vous faire une confidence : notre clientèle n'est pas seulement stanoise, ou banlieusarde, elle est également parisienne", répond fièrement Mohamed. 



Après un an d'activité, l'Alcazar semble avoir en effet trouvé son rythme de croisière. "Les premiers mois ont été difficiles", avoue Mohamed, qui se souvient encore de ces journées où l'ensemble du personnel attendait de longues heures sur le seuil de la porte la venue des premiers clients



L'histoire des El Marzouki ressemble à celles d'une famille ordinaire issue de l'immigration. 

Originaires du Maroc, les parents El Marzouki arrivent en France dans les années 70. Après un bref passage dans la capitale, ils s'installent à Stains, et plus précisément dans le quartier du Clos Saint-Lazare. Jusqu'à aujourd'hui, Mohamed garde un excellent souvenir de cette époque. "On s'est toujours bien entendu avec tout le monde", confirme-t-il.  "Avoir grandi dans ce quartier m'a rendu plus fort. Il m'a appris le goût de l'effort et m'a encouragé à ne jamais lâcher", dit celui qui a été directeur adjoint du service des sports à Stains. Il enseigne également le judo dans la ville où il a grandi. 



Pour comprendre pourquoi les frères El Marzouki se sont lancés vers un tel projet, il faut aller chercher dans leur enfance. "Dans les années 70, 80, on mangeait du poisson à la maison", se souvient Mohamed. "Ma mère est un cordon bleu. Elle nous a ouverts à d'autres cuisines. On mangeait déjà du fenouil, du gratin de blettes ou de la mozzarella, pas juste du tajine ou du couscous. Elle faisait toujours ses courses au marché", continue le jeune homme. "Nous ne mangions jamais de plats préparés ou n'allions au Mac do". 



Pas étonnant donc que l'Alcazar des frères El Marzouki n'utilise que des produits frais, "Bio et de saisons", pointe fièrement Mohamed. La marchandise est achetée au marché de Rungis mais aussi souvent chez des producteurs locaux. La viande est française, la charcuterie est espagnole, de Séville plus précisément. La carte du restaurant change tous les deux mois et les tarifs restent abordables. "On essaie de rendre la gastronomie accessible au plus grand nombre", confirme Mohamed. 



Après avoir ouvert quelques commerces à Paris, le quarantenaire, qui vit désormais à Tremblay-en-France (93), a eu l'idée de revenir sur Stains, pour "redonner à une ville qui m'a tant apportée". Un jour, il est tombé sur ce grand local vacant de plus de 200 mètres carrés, situé juste en face du théâtre municipal, qu'il a relooké de fond en comble. "Après avoir obtenu les clefs, nous avons mis plus d'une année avant d'ouvrir", rappelle Mohamed. "Nous voulions peaufiner chaque détail, parfaire les décors. Nous nous sommes inspirés du style de l’Alhambra (NDLR : l'un des monuments majeurs de l'architecture islamique situé à Grenade en Espagne) qui représente l’apogée de l’art andalou". 



Mohamed s'est également rendu compte que ce local était son ancienne banque. "J'ai vu ça comme un signe du destin", sourit le jeune homme. 

Un signe du destin qui, il l'espère, le mènera jusqu'à son rêve : obtenir une première étoile au prestigieux guide Michelin. A voir la mine satisfaite des clients ce soir-là, Mohamed et ses frères sont bien partis pour.


Nadir Dendoune

Nadir Dendoune