Nuit de cauchemar au stade de France

 Nuit de cauchemar au stade de France

François Hollande dans le centre de sécurité du Stade de France


LE CONTEXTE : 13 Novembre 2015


Du Stade de France au Bataclan, en passant par des bars-restaurants des Xe et XIe arrondissements, le 13 novembre 2015, Paris est frappé par une série de fusillades et d’attaques-suicides coordonnée par trois commandos et revendiquées par Daech. Au stade, Mohamed Amghar est agent de sécurité et empêche alors Bilal Hadfi, un kamikaze âgé de 20 ans, d’entrer dans l’enceinte de l’édifice où quelque 80 000 spectateurs, dont le Président François Hollande, assistent au match amical France-Allemagne. Si le pire est évité, les explosions ont tout de même lieu à l’extérieur… Avec 130 morts et 413 blessés, ce sont les attentats les plus meurtriers en France depuis la Seconde Guerre mondiale. La gravité est telle que l’état d’urgence est décrété. Plusieurs complices, comme Abdelhamid Abaaoud, sont tués lors d’un assaut donné par les forces de l’ordre à Saint-Denis le 18 novembre. L’unique survivant, Salah Abdeslam, est capturé en mars 2016 en Belgique. Une cérémonie d’hommage aux victimes est organisée chaque année mais laisse le sentiment amer, pour les rescapés, d’être oubliés le reste du temps.


LE TEMOIN : MOHAMED AMGHAR


Chapeau vissé sur la tête, Mohamed Amghar, 49 ans, fouille dans ses souvenirs. Il n’a pas besoin d’aller bien loin pour que les images ressurgissent. Sa gestuelle s’emballe, son sourire gêné cherche à adoucir l’horreur qu’il raconte à toute vitesse. Mohamed est agent de sécurité au Stade de France le soir du 13 novembre 2015 et empêche l’un des kamikazes d’entrer. Celui-ci se fait exploser à dix mètres de lui. Le père de famille est grièvement blessé. Relogé en urgence, il est aussi naturalisé, puis décoré de la médaille de la sécurité intérieure en mai 2016. Trois ans après, le traumatisme et la peur des représailles pèsent toujours.


 


C’était un vendredi. Ce soir-là, il y avait un match de foot France-Allemagne et je comptais le regarder à la maison. Mais un ami, qui a une entreprise spécialisée dans la sécurité, m’a proposé un extra au Stade de France. J’ai accepté. Je m’y rendais pour la première fois. Arrivé sur place, j’ai signé mon contrat et enfilé un gilet orange. On m’a affecté à la porte H et on m’a briefé pour la soirée.


 


Il est parti en miettes…


Avec Damien, notre mission était de ­vérifier que les billets scannés étaient ­valides. Derrière nous, trois agents palpaient les visiteurs. Entre 19 heures et 20 heures, tout allait bien. On voyait des familles, des enfants… Vers 20 h 30, un homme de type maghrébin, la vingtaine, s’est présenté. Son billet ne passait pas. Il a essayé d’entrer, mais je lui ai expliqué que c’est impossible. Je lui ai demandé de se mettre sur le côté, car il y avait du monde derrière lui. Il s’est exécuté sans dire un mot. Le coup d’envoi de la rencontre a été donné à 21 heures et, un peu avant, le chef d’équipe nous a demandé de ranger les barrières de sécurité.


A 21 h 05, j’ai entendu une grosse détonation à 100 mètres de moi. C’était au restaurant Events. Quelqu’un courait et criait au secours, mais je n’ai pas compris ce qu’il se passait. J’ai pensé à un pétard. Damien s’est éloigné un peu de façon à ce qu’on se répartisse mieux le travail. J’ai aperçu le jeune homme que j’avais évincé. Il était toujours là. Nos regards se sont croisés, puis je me suis retourné pour attraper une grille. C’est là qu’il s’est fait exploser. Il est parti en miettes et j’ai été comme propulsé. Des boulons et des clous garnissaient sa ceinture d’explosifs pour faire un maximum de dégâts. Le bruit et le souffle de la détonation m’ont sonné. Il y avait du sang et de la chair humaine – sa chair – partout.


 


Peur des représailles


J’ai commencé à dresser l’inventaire de mes blessures : cinq impacts sur le flanc gauche. J’avais très mal, alors je me suis assis devant une boutique et j’ai tenté de nettoyer les plaies avec un mouchoir. Damien n’était plus là. J’ai levé la tête au ciel et prié Dieu. ‘Pas maintenant, s’il te plaît. J’ai deux filles, elles ont encore besoin de moi.’ J’ai aussi eu la vision de mon père, décédé. J’ai repris mes esprits et j’ai cherché ma voiture. Je ne savais plus où elle était. J’ai fait le tour du stade et constaté que toutes les portes étaient fermées. J’étais pris au piège à l’extérieur.


J’ai fini par retrouver mon véhicule et j’ai appelé mon frère sur la route. ‘Il s’est passé quelque chose de très grave, allume la télévision.’ Je lui ai dit que je me dirigeais vers l’hôpital Robert-Ballanger, à Aulnay-sous-Bois. Si je devais mourir, je voulais être enterré à Casablanca. Je lui ai demandé de prendre soin de mes filles. J’avais un mal de tête épouvantable !


Arrivé à l’hôpital, j’ai expliqué la situation à l’accueil. On m’a envoyé aux urgences, où j’ai été pris en charge par une équipe de médecins et d’infirmiers. Un psychologue était là pour me parler.


Tout ce que je voulais, le lendemain, c’était rentrer chez moi. Je n’avais pas confiance, j’avais peur des représailles. Mon frère est venu m’aider à changer mes pansements. Ce qui m’a le plus choqué ? Mes vêtements pleins du sang et de la chair d’un autre. Les boulons aussi, qu’on m’avait extraits du corps la veille. J’ai tout mis dans un sac et, le 14 au soir, je me suis rendu au commissariat d’Aulnay pour le leur remettre. Cela pouvait aider pour l’ADN… Mais les policiers, décontenancés, m’ont invité à repartir.


Le 15 au matin, le commissaire m’a contacté pour me dire d’aller le déposer à la police judiciaire, quai des Orfèvres. Là-bas, on m’a conduit dans un bureau, où on m’a interrogé pendant cinq heures avant que je ne signe ma déposition. Mes affaires ont été confisquées pour l’enquête.


 


Impossible de dormir


La vie d’après a été très difficile. Pour protéger mes enfants, je ne leur ai rien dit et je ne les ai pas vus pas pendant deux mois. Quant aux blessures… une vraie souffrance. Je n’avais plus d’appétit et j’étais obligé de dormir sur le côté droit. En réalité, je ne dormais plus. Je sortais de mon lit en pleine nuit et allais à la porte d’entrée pour regarder à travers le judas. Un simple bruit dans l’escalier et je me demandais s’ils ne m’avaient pas retrouvé pour se venger. Il n’y avait qu’en journée que j’arrivais à m’assoupir, mais les cauchemars ne me lâchaient pas. Jusqu’à ce jour, je dors deux heures par nuit. Quand mes filles regardent mes cicatrices, j’invente des histoires. Je suis toujours très méfiant, j’évite la foule. Je vois un psy tous les quinze jours.


 


Une médaille, un documentaire…


J’ai rejoint en janvier 2016 l’association 13-Novembre : Fraternité et Vérité. En mai, le Premier ministre m’a téléphoné. pour m’inviter à une cérémonie : j’ai été décoré de la médaille d’argent de la Sécurité intérieure. J’ai aussi participé à un documentaire*. Si j’ai accepté, c’est pour montrer que l’Islam, ça n’a rien à voir avec ça. L’Islam, c’est l’amour ! Je me dis qu’un jour, peut-être, un jeune radicalisé tombera sur ce film et changera d’avis. Ça pourrait sauver des vies. Pour moi, je suis mort ce jour-là et j’ai 3 ans aujourd’hui. Le message que j’ai envoyé à Dieu a été entendu. Je pense que j’ai encore du travail à faire avec les vivants.” Propos recueillis par Nejma Brahim


* Le 13-Novembre : vivre avec, d’Eric Guéret, diffusé en 2016 dans l’émission Infrarouge sur France 2.


 

Nejma Brahim