London calling

 London calling

crédit photo : Tolga Akmen/AFP


A Londres, Victoria Coach Station et son ballet de bus ou la gare de Saint-Pancras avec l’arrivée de l’Eurostar sont des lieux connus pour ceux venus s’installer en terre britannique. Chacun espère trouver dans cette chaleureuse ville si riche de ses diversités, un “home sweet home” afin de réaliser ses rêves…Même si le Brexit a un peu refroidi l’ambiance. 


Le premier “choc” culturel se produit dès la douane, quand, côté anglais, le duo chargé de contrôler les pièces d’identité est formé par une jeune femme musulmane voilée et un homme sikh portant son turban traditionnel. Le ton est donné. A Londres, le multiculturalisme prime. Chaque communauté vit ses traditions en toute liberté. Chacun respecte l’autre et s’attend à être respecté. Un principe de réciprocité qui fait cohabiter assez sereinement une très grande diversité de population venue du monde entier.


 


Une salle de prière à la banque


Comme aime à le clamer Sadiq Khan, le maire de Londres, “London is open”. C’est d’ailleurs la première chose dont vous parlent les Maghrébins qui y résident. “Quand on vit ici, on n’est pas pointé du doigt. On vit tranquillement notre religion. En tant que musulman, le fait d’avoir une salle de prière dans la banque où je travaille, ça change tout”, témoigne un employé.


Pour un autre jeune, Chakir Zahid, Français d’origine marocaine et né à Bourg-en-Bresse, le coup de foudre a été immédiat. “Quand je suis arrivé, je me suis tout de suite senti bien. Alors que je ne connaissais pas encore vraiment la ville. En France, je me sentais toujours un peu stressé, ou pas à ma place en tout cas.” La difficulté à trouver sa place dans la société, un vrai destin, est une des raisons principales qui amènent à traverser la Manche, au-delà des opportunités purement professionnelles qu’offrent le marché dynamique d’une ville comme Londres. “J’avais en moi le rejet de la société française vis-à-vis des enfants d’immigrés. Je venais d’une banlieue. Même à l’école, on n’est pas souvent mis en avant. Le fait que les parents ne parlent pas très bien français, cela nous marginalise quelque part”, confie un autre trader évoquant son choix en faveur de la capitale britannique.


 


Une vraie tradition entrepreneuriale


Pour Chakir Zahid, la Grande-Bretagne s’est révélée une véritable seconde chance. Il avait enchaîné en France des travaux saisonniers ou des petits boulots, si bien que quand il s’est lancé dans cette nouvelle aventure à Londres, il n’avait pas grand-chose à perdre. Après quelques contrats de travail sur place, il a décidé de créer sa structure, House London Trip, afin d’aider ses compatriotes francophones à s’installer à Londres. Quelques clics et 15 livres sterling plus tard, il devenait chef d’entreprise. Comme le lui confirmait le lendemain, par téléphone, l’Administration fiscale et douanière (HRMC). Il ne lui restait plus qu’à “commencer à travailler et faire de l’argent”. C’est effectivement, un des avantages du système anglais. Le Royaume-Uni possède une vraie tradition entrepreneuriale et, pour soutenir celle-ci, le gouvernement a opté pour des démarches administratives simplifiées. Pour un jeune qui n’a pas forcément trouvé de réelles opportunités en France, c’est l’occasion de créer sa société. De travailler dur, certes, car le marché britannique ne fait pas de cadeau, mais le mérite sera, à présent, la seule échelle de valeur à entrer en compte. Au quotidien, charge à eux, de continuer à se former et progresser dans leur gestion même de l’entreprise. Mais désormais, Chakir le concède volontiers, “il y a cette fierté d’être son propre patron”. Ce qui lui semblait totalement inaccessible en France “n’ayant pas d’économies ou n’étant pas le fils de… ou n’ayant pas fait telles études.”


 


D’autres possibilités qu’en France


D’ailleurs, concernant les études, certains traders relatent que c’est grâce au renom de leur école qu’ils ont pu se construire un beau parcours professionnel en France. C’est pourquoi, pour d’autres, le Royaume-Uni offre des possibilités que l’Hexagone n’a pas su engendrer. “En France, on se préoccupe surtout de quelle école tu as fait et finalement, il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour les gens qui débutent.”


Toutefois, l’expatriation est un vrai bouleversement et l’adaptation dans un nouveau pays comporte ses difficultés. Le travail que l’on trouve le plus rapidement reste peu qualifié et on démarre souvent cette nouvelle vie en colocation, tout du moins à Londres où les loyers sont bien plus élevés encore que ceux de Paris.


Mais ce sera surtout la langue, le véritable premier écueil. Certains décident d’opter pour un travail alimentaire le temps de renforcer leur anglais, avant de s’attaquer à leur métier et se sentir plus en confiance. “J’avais du mal à faire passer ma motivation en anglais et un complexe par rapport à l’accent. On arrive avec cette illusion qu’il faut être totalement bilingue pour exercer dans ces places”, se souvient un trader avant d’expliquer que, finalement, il s’agit davantage de confiance en soi qu’autre chose, surtout que “les gens comprennent quand on vient de France ou d’un autre pays qu’on ne maîtrise pas forcément la langue”. Pour ceux qui ont réalisé une année d’étude à l’étranger pendant leur cursus universitaire ou eu l’occasion de pratiquer l’anglais auparavant, la tache s’avère plus aisée et leur intégration d’autant plus prompte.


Toutefois, le 24 juin 2016, un écueil de taille a surgi pour tout citoyen étranger, qu’il soit européen ou non : le vote du Brexit. Les Britanniques ont voté, à près de 52 %, pour une sortie de l’Europe, qui sera effective en mars 2019. Au-delà de la stupeur et l’affolement immédiat des salles de marché, cela a généré une incertitude considérable pour toute la communauté française, et de fait maghrébine.


Selon l’Ambassade de France, le nombre de ses résidents en Angleterre serait de 300 000 aujourd’hui. Et pour le Grand Londres, comprenant également Oxford et Cambridge, l’estimation se porte à 200 000. Autant dire que la population française est très largement concernée par les vagues de négociations qui agitent Bruxelles en ce moment. A cette heure, pour le consulat français, les indicateurs ne semblent pas frémir : la communauté française effectue toujours autant d’entrées et de sorties au Royaume-Uni, et les écoles françaises, par exemple, n’ont pas observé de départ en masse cette année. Actuellement, trois grandes priorités sont sur la table des négociations : le sort des ressortissants européens, la question des frontières, notamment pour le cas de l’Irlande, et le solde dont devra s’acquitter le Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union européenne.


 


“Wait and see” après le Brexit


Certains citoyens étrangers ont décidé d’ores et déjà de prendre les devants en rentrant en France ou ailleurs, ne supportant pas cette imprévisibilité professionnelle ou ne se retrouvant pas dans les valeurs nationalistes émergentes. Néanmoins, pour l’essentiel, ils demeurent confiants quant à la capacité de leur pays d’accueil à faire fonctionner son économie avec l’énergie qui lui est si singulière, si pour autant leurs droits – sociaux notamment – restent respectés et qu’ils ne deviennent pas des citoyens de seconde zone. Car au final, Londres, comme toute autre ville britannique, a permis d’abriter pour beaucoup un nouveau foyer en adéquation avec leurs valeurs, et un lieu de vie où le succès a fini par sourire. Aussi, l’adage “wait and see” n’aura jamais été autant d’actualité… 


 


La suite de la Série Société : London Calling


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MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Caroline Diene