Trump et Poutine ne feront pas le printemps

 Trump et Poutine ne feront pas le printemps

A Kafranbel ce 12 avril 2017


Tribune de Pauline Thirifays, enseignante et citoyenne engagée.


Il est de notre responsabilité de démocrates d’imposer une zone d’exclusion aérienne et d’accueillir ceux que l’horreur a mis sur les routes de l’exil. Alors, le printemps arabe aura peut-être une chance de fleurir enfin.


En représailles à l’attaque chimique frappant des civils survenue à Khan Cheikhoun, le très polarisant Donald Trump a fait bombarder une base militaire de l’armée syrienne déclenchant, sur les réseaux sociaux, miroir aussi déformé qu’incontournable des opinions publiques, l’effervescence.


Je laisserai aux personnes de terrain, aux experts (improvisés ou non) et aux stratèges militaires le soin, soit d’habiller de leur vide babil les chaînes d’info en continu, soit de proposer leurs éclairages pertinents quant à l’utilité réelle de cette manœuvre militaire (et de celles qui semblent se préparer) en termes de protection des civils à court ou moyen terme.


Si, d’une façon ou d’une autre, cette frappe peut aider réellement à alléger le sort des populations civiles, alors c’est une bonne chose, et je me réjouirai sincèrement avec les Syriens. Lorsque la vie ne tient qu’à un fil chaque jour qui passe, le réalisme, c’est la vie.


Un cadeau empoisonné


Pourtant, même si j’espère me tromper, j’entrevois que ces frappes sont un cadeau empoisonné; un cadeau aux effets pervers qui ne servira probablement pas in fine la révolution syrienne parce que précisément elles vont détourner, une fois encore, l’attention sur les intervenants extérieurs au lieu d’assurer efficacement la sécurité des révolutionnaires syriens – dont nous avons pourtant tant à apprendre – et qu’il est de notre responsabilité de protéger.


Dans ce monde stupidement polarisé où les gens s’obstinent à choisir de façon pavlovienne un camp ou une figure d’autorité là où ils devraient davantage se polariser sur des valeurs (celles des Lumières et des droits de l’homme), les opinions publiques vont s’engouffrer dans la brèche de la compétition anti-impérialiste. Soutenant un dictateur sanguinaire et son puissant soutien au nom de l’anti-impérialisme américain, ils trahissent en fait les idéaux dont ils avaient maquillé leur anti-impérialisme : autodétermination des peuples et liberté. Soutenant, contre l’impérialisme russe (pourtant bien réel), un malade fasciste qui réagit comme un enfant gâté et agit au moindre caprice, ils trahissent les Syriens qui luttent précisément contre l’arbitraire et le fascisme du boucher de Damas.


Ces dernières années, l’anti-impérialisme est devenu le mantra de l’analyse politique internationale. Pourtant, qu’y a-t-il de plus impérialiste, de plus néocolonialiste, que de ne voir l’action politique des Syriens qu’à l’aune de nos propres actions ? Comme si leur révolution et leurs combats n’étaient que le décor sur le théâtre international de nos petites névroses occidentales…


Arrêtons de nous prendre pour Zorro


Il est temps de remettre les Syriens et leur révolution au centre des préoccupations. Arrêtons de parler pour eux; écoutons-les. Arrêtons de leur donner des leçons de laïcité et de résistance quant à la nature de leurs alliances; apprenons d’eux la détermination et le courage. Arrêtons de fantasmer des intérêts géopolitiques chimériques qui ne nous parlent que de nous et de nos obsessions; intéressons-nous à la façon dont ils veulent faire évoluer leur région (ce qui aura des retombées chez nous, et non l’inverse). Arrêtons de nous réfugier lâchement derrière le droit international ou de nous prendre pour Zorro rétablissant la justice; prenons nos responsabilités non pas pour attaquer ceux qui oppriment les Syriens mais pour protéger les démocrates de ce pays. Il ne s’agit pas de faire justice.


Ni Trump, ni bien sûr Poutine (responsable de crimes de guerres commis sciemment) ne sont en mesure de régler le problème. En revanche il est de notre responsabilité d’humains et de démocrates d’imposer une zone d’exclusion aérienne, d’accueillir ceux que l’horreur a mis sur les routes de l’exil, de tracer clairement les lignes rouges qu’Obama a laissées allègrement et lâchement piétiner et de les faire respecter grâce à des sanctions graduelles et fermes et des actions militaires de sécurisation à la demande des révolutionnaires.


Si nous parvenions à cela, le printemps arabe aurait peut-être une chance de fleurir enfin sur les ruines de la Syrie. Si nous parvenions à cela, l’Europe ne serait plus une forteresse vide mais une hirondelle du printemps démocrate. Si nous parvenions à cela, ce serait, enfin, une victoire. Qu’est-ce qu’une victoire ? C’est quand la justice, la vérité et la liberté triomphent, dans tous les camps.

Pauline Thirifays