Vague d’arrestations d’hommes d’affaires, premiers éléments

 Vague d’arrestations d’hommes d’affaires, premiers éléments

Chafik Jarraya (à gauche) et le chef du Congrès national libyen Ibrahim Fethi Amish


On en sait plus sur la série d’arrestations surprises de businessmen soupçonnés de corruption qui a secoué le pays toute l’après-midi et la soirée de mardi à mercredi 24 mai, entamée par la plus spectaculaire, celle de Chafik Jarraya.


L’opération d’envergure a commencé en plein jour, à la terrasse d’un café bien achalandé du quartier huppé des Berges du Lac de Tunis, où Chafik Jarraya, magnat des affaires, a ses habitudes. Selon des témoins, des hommes en civil ont encerclé Jarraya et l’ont embarqué, menotté, direction la caserne de l’Aouina, siège des deux Pôles financier et terroriste de la Garde nationale.


 


Une opération « main propres » à la tunisienne ?


Contacté dans la foulée via son porte-parole Sofiène Sliti, le ministère public a nié avoir une quelconque information à ce sujet et ne pas être à l’origine de l’arrestation. Ce qui a ajouté à la confusion générale : d’aucuns ont invoqué « un kidnapping » ou encore une mesure d’exception sur ordre de la présidence de la République par la police politique, une entité censée avoir été dissoute depuis la révolution.


Lorsque Yassine Chennoufi, Nejib Ben Isamail et Ridha Ayari sont arrêtés dans la soirée, on comprend alors qu’il s’agit d’une opération méthodique. Tous trois cumulent ou ont cumulé le statut de haut fonctionnaire des douanes et homme d’affaires. Le premier, qui avait poussé le culot à se présenter aux élections présidentielles de 2014, avait été cité par le témoignage de Imed Trabelsi devant l’Instance Vérité & Dignité diffusé vendredi dernier.  


 


On apprend ce matin que ces interpellations, suivies d’assignations à résidence, ont toutes été effectuées sur ordre direct du chef du gouvernement Youssef Chahed, en application des dispositions du décret 50 datant de 1978 et relatif à la réglementation de l’état d’urgence.


Ledit décret permet en effet au pouvoir exécutif de placer toute personne dont l’activité constitue une atteinte à la sureté nationale, sous assignation à résidence sans nécessité d’autorisation préalable de la justice. Cela fait plusieurs mois que des ONG et figures publiques demandent « un signal fort contre la corruption » au gouvernement Chahed.


« La Tunisie ressemble à Mani Pulite », commente la journaliste italienne Patrizia Mancini. Mani pulite (en italien « Mains propres ») désigne une série d'enquêtes judiciaires réalisées au début des années 1990 et visant des personnalités du monde politique et économique italien. Mais ira-t-on pour autant, comme en Italie, jusqu’à la mise à jour de systèmes de financement occulte de certains partis politiques ?


En Tunisie, la nouvelle est appréhendée par un mélange d’enthousiasme et de scepticisme. En pleine crise sociale et politique, affaibli par les affaires et les émeutes de Tataouine, le gouvernement Chahed agit-il selon une logique d’auto préservation tardive et jusqu’au-boutiste ?


Les prochains jours devraient permettre de savoir si nous sommes au-delà du simple effet d’annonce. Quoi qu’il en soit, Chafik Jarraya, ce provocateur que l’on pensait intouchable du fait de ses liens étroits avec des personnalités du monde médiatique et politique, dont le leadership Nidaa Tounes, avait prédit il y a quelques semaines sa propre incarcération. Cela n’en reste pas moins une victoire symbolique pour le jeune et ambitieux Youssef Chahed.


 


Seif Soudani

Seif Soudani