24 heures avec un coursier

 24 heures avec un coursier

crédit photos : Damien Lefauconnier


Quatre jours par semaine, il pédale dans Paris et sa petite couronne. Au compteur : entre 50 et 60 kilomètres en huit heures de travail. Jean-Charles Boutin – “JC” – est coursier à vélo depuis deux ans. Un métier qui a le vent en poupe dans le secteur de la livraison. Dans les bouchons, la pollution et sans perdre sa bonne humeur. Sa résistance à la fatigue est hors normes, et il a appris, au fil du temps à dompter les dangers de la circulation. 


7 h : Petit déjeuner. Au menu, “comme tous les jours” : pain d’épices et verre de lait. Jean-Christophe Boutin, 39 ans, ancien musicien professionnel, enfile ses chaussures à crampons, son casque, et file avec son vélo jusqu’à sa gare RER de Bois-Colombes, direction Saint-Lazare. Quelques minutes plus tard, il rejoint les locaux de son employeur, une société de coursiers, située à deux pas de la place de République. “Ma passion du cyclisme a commencé quand j’avais 35 ans”, explique-t-il en préparant son vélo de type “cargo” c’est-à-dire doté d’un bac pour porter des objets encombrants. “Je devais prendre du muscle, alors j’ai pratiqué le vélo en salle de sport. Puis je me suis acheté un VTT. Mes amis m’ont dit : ‘Mais pourquoi tu ne deviendrais pas coursier ?’ Aujourd’hui, je fais du vélo toute la journée, et j’adore ça !” Enfin prêt, JC ouvre dans son smartphone l’application qui le maintient en contact avec Gabriel, le “dispatcheur”, qui attribue en amont les courses à chaque employé. Il découvre son planning de la matinée : “Je vais boulevard Beaumarchais, puis rue de Courcelles, dans le VIIIe arrondissement. Mais avant, je fais un crochet boulevard Sébastopol chez un prothésiste dentaire.” Rivé devant son ordinateur, un casque vissé sur les oreilles pour prendre les appels, Gabriel l’interpelle avant qu’il sorte : “Quand tu as fini tu m’appelles, et on voit ce qu’il y a de nouveau !”



8 h : Première livraison. “Ce sont des paquets de café. On doit les livrer à une entreprise rue de Londres avant 9 heures. Pour ne pas avoir à courir comme un fou, je pars bien en avance.” Le boulevard Poissonnière est surchargé de voitures. Concerts de klaxons, déboîtages sauvages, affluence de deux-roues, de camionnettes et de voitures. Tous tentent d’avancer le plus vite possible sans se percuter. Malgré le poids de son chargement, le coursier se faufile comme un serpent. Il repère à l’avance les angles qui lui permettront de gagner de précieuses minutes. Prudent, il regarde partout, signale de façon très visible ses changements de direction, mais reste étonnamment rapide. Pour un cycliste moyen, JC n’est pas facile à suivre. “Le matin, il y a toujours un pic de trafic. Le soir aussi c’est compliqué, car les gens sont fatigués. Les premières fois, j’avais peur, mais en surveillant ma montre, je me suis vite rendu compte qu’il fallait accélérer un peu. Ça m’a pris six mois avant de bien lire le trafic et savoir me mettre en sécurité. C’est comme aux échecs : il faut un coup d’avance. Quand quelqu’un va ouvrir sa portière ou me couper la route, je sais l’anticiper.” Après deux kilomètres sur les boulevards, JC fait demi-tour : “Je me suis trompé ! Je cherchais Sébastopol à gauche, alors que je sais très bien que c’est à droite”. De retour sur le bon chemin, il grimpe une ruelle à pic. Premier arrêt. Son paquet à la main, il ouvre une porte et lance : “Salut Maurice !” Il ressort aussitôt de chez ce client habituel avec un petit colis.


8h45 : Boulevard de Strasbourg, les dents du prothésiste sont entre les mains du dentiste qui les a demandées. Direction maintenant boulevard de Beaumarchais via place de la République, pour récupérer une paire de chaussures. En ce mois de juin, la chaleur monte peu à peu, augmentant la sensation d’étouffement liée au monoxyde de carbone. Malgré cela, JC affirme ne pas craindre les émanations des pots d’échappement qu’il respire quatre jours par semaine. “Un médecin du sport m’a dit que comme nous étions en plein effort, nous étions plus explosés à la pollution que les gens assis dans leurs voitures. Je ne sais pas si c’est vrai. En tout cas, je ne ressens pas de gêne respiratoire” Pour éviter les ralentissements, le coursier emprunte de préférence les petites rues qu’il semble connaître par cœur. “Je ne prévois pas mon itinéraire à l’avance. Je regarde les grands axes. Sur place, je me souviens des raccourcis. C’est vraiment lié à l’expérience.”



10 h : Coup de fil à Gabriel. “OK, à tout à l’heure !” répond JC. Il doit aller chercher des fleurs. Pour cela, il revient au local récupérer un grand sac. Fabrice, le patron de la société, et d’autres employés sont occupés à emballer 400 ouvrages à livrer dans tout Paris. Derrière son ordinateur, le “dispatcheur” nettoie soigneusement un pot de soupe qui a fui. “Avec la nourriture, c’est souvent plus un problème d’emballage que de transport, explique-t-il. On transporte ce qui les clients nous donnent. On ne conditionne pas.” JC salue deux de ses confrères en train de s’équiper et repart aussi sec.


11 h : Le coursier revient chargé d’une impressionnante pile de cartons de livres. Il ne faiblit pas : toujours en forme, toujours de bonne humeur. Il boit quelques gorgées d’eau, et c’est reparti.



13 h : Les courses s’enchaînent à un rythme soutenu : un paquet pour un hôtel place Vendôme, puis un autre pour un magasin rue Saint-Honoré. Il termine une livraison de café du VIIIe arrondissement, puis repart aussitôt rue des Martyrs.


15 h : Enfin le déjeuner ! Habituellement, JC fait une pause plus tôt, mais impossible ce jour-là. Il est trempé de sueur et il boite. “C’est une journée de fou ! Ma cheville a tapé contre l’une des barres du vélo dans un virage. Je me suis fait ça tout seul.” Il baisse sa chaussette. Apparemment, rien de grave. Une chance ! Le coursier doit rester en forme pour rentabiliser son activité : il touche la moitié de chaque course, pour un revenu oscillant entre 1 200 et 1 600 euros nets par mois. JC montre fièrement son repas du midi emballé dans un papier : sandwich à l’omelette. “Il y a des frites maison dedans. J’ai souvent du mal à le finir”, confie-t-il d’un air gourmand.


16 h : JC s’est relaxé un maximum, plus de deux heures. “Comme j’ai beaucoup donné ce matin, Gabriel me prévoit des petites courses et fait en sorte que je termine ma tournée vers Saint-Lazare, afin que je puisse prendre le train directement.” Il disparaît dans la circulation avec son dernier chargement de paquets de la journée. Toujours en forme, toujours rapide.


MAGAZINE JUILLET-AOUT 2017

La rédaction