À Marseille solidarité pour les Minots

 À Marseille solidarité pour les Minots

La marionnette géante “Petite Amal” arrive à Marseille en septembre 2021, pour sensibiliser au sort des enfants réfugiés. Nicolas TUCAT / AFP

Marseille. Dans une campagne électorale qui a tendance à virer de plus en plus à droite de la droite, comme on a pu le constater il y a quelques jours, lors d’un débat public organisé par Valeurs Actuelles, la question des migrants et notamment des jeunes est rabattue à tort et à travers par les candidats qui disent tout et son contraire. A Marseille, Le Courrier de l’Atlas s’est rendu à la rencontre de l’association Ramina qui vient en aide à ces jeunes étrangers fraîchement arrivés et bien souvent livrés à eux-mêmes. Reportage.

Par Yoram Melloul

Les bénévoles de l’association Ramina accompagnent les mineurs étrangers en attente d’un hébergement. Crédit photo : Ramina / Facebook
Ce soir d’hiver sur la Canebière, la plus célèbre avenue de Marseille, la température ressentie frôle le zéro. Les badauds sont saisis par le mistral glacé qui transperce leurs vêtements. Deux bénévoles du Réseau d’accueil des minots non accompagnés (Ramina) patientent devant le commissariat de l’avenue, les mains dans les poches pour se protéger du froid.

Comme chaque soir, à 20 h 30, c’est ici que les membres de cette association donnent rendez-vous aux jeunes ressortissants étrangers de la ville qui n’ont pas de place en hébergement d’urgence.

« Je ne sens plus mes orteils »

Romain Laquerbe, le secrétaire de Ramina, est là pour accueillir la dizaine d’adolescents qui se sont présentés. Ils sont seuls, sans repères, dans la deuxième ville de France. « Pour beaucoup de mineurs non accompagnés, Marseille est le premier endroit où ils arrivent, notamment depuis l’Italie, explique Romain. On leur donne rendez-vous devant le commissariat pour que la police puisse appeler les foyers du département à partir de 21 heures et voir s’ils ont des places. »

Derrière lui, Ahmed*, 17 ans, le visage fatigué, n’en peut plus d’attendre. Originaire de Tébessa, en Algérie, le garçon erre dans la cité phocéenne depuis deux semaines. D’un geste de la main, il pointe le sol : « Mes chaussures sont déchirées et l’eau entre dedans. Je ne sens plus mes pieds et mes orteils. On ne mange pas avant 21heures. C’est de la torture. » Il ne parle pas français. Epuisé, il raconte sa situation en « derdja » : « Je ne vais pas bien, le froid me tue. J’ai traîné dehors depuis huit heures. Je ne peux même plus tenir debout. »

Ce soir, les adolescents au rendez-vous, tous des hommes, sont originaires d’Afrique de l’Ouest, du Bangladesh, du Pakistan ou encore du Maroc. Romain regarde son portable. Il est 21 heures, c’est le moment de sonner à la porte du commissariat. Un policier sort, l’échange est courtois, mais bref.

« J’ai appelé la DIMEF [Direction des maisons de l’enfance et de la famille, en clair, les foyers du département, ndlr], ils n’ont pas de place », explique-t-il. Et comme pour se justifier, il montre aux bénévoles et aux jeunes présents autour de lui l’historique de son téléphone avec le numéro qu’il a composé quelques minutes plus tôt. « Je sais que certains collègues… , lâche-t-il sans terminer sa phrase. Mais moi, j’appelle toujours. »

Trouver une place où dormir

Le département, chargé de la protection de l’enfance, ne peut pas accueillir les jeunes. Les bénévoles de Ramina vont donc s’en charger, et leur trouver un endroit pour passer la nuit. « C’est très rare d’avoir des places, précise Romain. La dernière fois qu’il y en avait, c’était pour une fille ivoirienne. Elle était en pleurs et paraissait très jeune. » Il se rassure comme il peut : « On touche du bois mais, pour l’instant, on a toujours trouvé une solution pour héberger ceux qui se présentent. »

En 2021, l’association a accompagné 650 personnes. Un tiers a préféré quitter Marseille et tenter sa chance dans un autre département. Il faut dire que l’attente pour voir une situation évaluée, dans les Bouches-du-Rhône, varie selon les périodes. Même si le délai réglementaire est de cinq jours, celui-ci n’est jamais respecté. A Marseille, plus qu’ailleurs, les mineurs non accompagnés doivent prendre leur mal en patience. Parfois, ils attendent un ou deux mois.

Les bénévoles de Ramina remontent la Canebière avec les adolescents, direction un appartement situé à dix minutes de marche. A l’entrée, les paires de chaussures laissées par les jeunes forment un tas. Le rituel est bien rodé. Romain s’assoit dans un coin et explique les règles aux nouveaux venus, en français et en anglais : « Ici, c’est un lieu d’hébergement d’urgence. Vous mangez, vous vous douchez, vous dormez. Vous pouvez laisser les affaires en journée et le soir, on se retrouve au commissariat à 20 h 30. »

Le secrétaire de l’association concède : « La difficulté c’est que nous, on héberge toujours les nouveaux. Et si demain il y a trois ou quatre arrivées, ce n’est pas sûr qu’on parvienne à les héberger. Certains, d’ailleurs, dorment déjà dans le salon. »

Tous les minots ont droit à un téléphone et une carte SIM distribués par l’association. Et pour le repas, c’est Fasciné* qui s’en charge. Originaire de Guinée Conakry, il est arrivé à Marseille en mai dernier. Comme un jeune sur deux, le département ne l’a pas reconnu mineur. « Ils ont dit que j’étais trop costaud. Je leur ai répondu que j’étais footballeur, mais on m’a jugé physiquement », détaille-t-il.

Accompagné d’un avocat, il a déposé un recours auprès du juge pour enfants. En attendant, il va à l’école. Et le soir, il s’occupe des petits camarades et les accueille dans le lieu d’urgence. Certaines fois, il en a vu arriver une quinzaine. Tous logés dans une chambre, côte à côte. Et quand la place manque, les locataires se serrent, investissent la petite mezzanine ou dorment dans le salon.

L’engagement des habitants de Marseille

Dès le lendemain, Ramina fait appel à son réseau de bénévoles pour essayer de répartir les adolescents chez des particuliers, en attendant qu’ils soient pris en charge par les autorités. Louise compte parmi ces hébergeurs solidaires. Elle s’est lancée pour la première fois en janvier, et accueille un jeune homme originaire de Guinée. Elle confie avoir hésité avant de laisser un inconnu entrer chez elle : « Il y a la peur injustifiée de se dire : ‘Ah, je vais avoir quelqu’un chez moi, il va faire un double de mes clés ou prendre mon ordinateur.’ En réalité, j’ai hébergé un gamin de 16 ans hyper poli. »

Louise ne regrette pas d’avoir pris cette décision : « C’était la bonne chose à faire. Que ce soit pour soi ou pour la société en général. Un adolescent qui dort dehors va perdre ses repères et risque de tomber dans la drogue. L’abandon de ces jeunes a un impact négatif énorme sur la société, alors que ce n’est pas grand-chose d’accueillir quelqu’un chez soi durant dix jours. »

* Les prénoms ont été modifiés.

À Marseille solidarité pour les Minots
Illustration – Police / Migrants à Marseille. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

 

La rédaction