Rachid El Ouali : « Arrêtons de regarder le handicap avec condescendance »

 Rachid El Ouali : « Arrêtons de regarder le handicap avec condescendance »

Crédit photo : Ceaproduction 2018


Pour son deuxième long-métrage en tant que réalisateur “Nouhe ne sait pas nager” le comédien et producteur, Rachid El Ouali a choisi d’aborder deux thèmes forts : le handicap et l’inceste. L’occasion de revenir sur ses trente-quatre ans de carrière. 


Votre film est porté par trois personnages forts, Nouhe, son fils handicapé et la jeune fille victime d’inceste. Est-ce un choix délibéré d’aborder des thématiques aussi rares dans le cinéma marocain ?


Le handicap a été le point de départ du film. A l’origine de ce scénario, il y a ma rencontre avec un enfant né sans bras. Une association souhaitait lui faire une surprise et ce gamin “rêvait” de me rencontrer. Cela m’a particulièrement touché. Il avait 8 ans et je me suis juré d’écrire quelque chose pour lui, un court-métrage où il aurait sa place. De fil en aiguille, ce film est devenu plus important que ce que je l’avais imaginé. Avec le coscénariste, Adnane Mouhejja, nous avons développé le projet pendant trois ans. C’est une thématique que j’aime porter à l’écran. Dans mon précédent film, Ymma (2015), il y avait le personnage de Ghita, une jeune fille trisomique. J’aimerais que l’on parle des personnes handicapées comme de personnes normales. Arrêtons de les regarder avec condescendance.


 


Pourquoi avoir choisi de traiter dans votre film un autre thème délicat, celui de l’inceste ?


Le handicap et l’inceste dans le même film, c’est vrai que ça peut faire beaucoup. Je voulais montrer la faiblesse de l’être humain. Le long-métrage devait aussi donner le point de vue des femmes. J’ai un rapport très tendre avec la gent féminine. Cela me vient de ma mère qui a souffert pour me donner la vie et pour m’aider à survivre. Je ne voulais pas choquer le spectateur marocain. Je crois beaucoup en la famille. J’ai un contact direct avec les foyers marocains par le biais du petit écran. J’entre chez eux. Je veux que mon père, ma mère, mes frères, mes sœurs puissent voir mes films à l’aise, sans gêne. Je ne montre pas de scènes de nu ou dérangeantes. Je veux faire passer le message sans avoir de rejet de l’œuvre cinématographique pour des raisons non essentielles. Mon rôle d’auteur et de réalisateur est de “donner à réfléchir”. Mais le tout sans ­juger. Ce n’est pas à moi de le faire.


 


Pourquoi avoir choisi comme contexte le milieu des années 1950 ?


Je voulais l’ancrer à cette époque pour rappeler que les problématiques que j’aborde ne datent pas d’aujourd’hui. Je voulais aussi qu’on relève le silence de la mère qui est au courant mais ne parle pas. Un silence qui caractérise ces années-là et que l’on n’aurait pas forcément retrouvé en situant le film dans l’époque actuelle où les réseaux sociaux ont “libéré” la parole.


 


Il y a trente-quatre ans, vous commencez votre carrière au théâtre. Comment êtes-vous passé au cinéma ?


Par hasard. J’ai accompagné des amis pour un concours d’art dramatique. J’étais leur soi-disant “porte-bonheur”. Une fois sur place, on m’a donné ­aussi un questionnaire alors que ce n’était pas prévu. Je l’ai rempli. J’ai joué ma première scène, puis une deuxième. Dix jours après, j’étais pris. Dès les premiers cours au théâtre Mohammed-V, j’ai découvert que ça me correspondait totalement. J’ai pu y côtoyer Jamal Eddine Dkhissi (aujourd’hui décédé, ndlr) qui a été mon mentor et qui joue dans mon film. Ça a été aussi l’occasion de m’affirmer. Mon père m’a demandé un soir, après une longue hésitation : “Est-ce que tu sais ce que tu fais de ta vie avec cette carrière d’acteur ? Je lui ai dit : “Ne t’inquiète pas. Ou bien je serai parmi les premiers ou bien je ne serai pas.”


 


Que pensez-vous de la créativité théâtrale et cinématographique marocaine ? Y a-t-il une certaine émulation ?


J’aime la scène, les acteurs, la dramaturgie… et j’adore quand les acteurs s’expriment. J’essaie de tout voir. Cela fait plus de quatre ou cinq ans que je ne suis pas monté sur scène et c’est dur. Ce qui me désole ici, c’est la durée de vie des spectacles. En France, les pièces restent un an ou deux, ce qui leur laisse le temps de s’installer. Au Maroc, le maximum est de 30 à 40 représentations mais la plupart du temps, on est plutôt à cinq ou dix. Du coup, c’est trop peu. On n’a pas le temps de roder la pièce ou les personnages. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a maintenant beaucoup de jeunes qui choisissent le métier de comédien. Il y a une certaine effervescence et surtout de la recherche avec plusieurs écoles de cinéma (Casablanca, Rabat, Marrakech, Ouarzazate…). En tant que producteur, j’aime donner à ces jeunes l’occasion de réussir dans le métier.


 


Vous faites aussi de la télévision, vous avez notamment été l’animateur de “Lalla Laaroussa” mais aussi de la version arabe de “Qui veut gagner des millions ?” sur Nessma TV. Pourquoi ce choix ?


On en revient à la famille. J’adore ces moments de réunion et de partage même si la consommation t­élévisuelle a changé. Le fait de se réunir devient presque un privilège. Mon activité d’animateur consistait aussi à remettre au goût du jour une certaine convivialité familiale. C’était une parenthèse de deux ans très ­réjouissante. 


 


NOUHE NE SAIT PAS NAGER



Dans le Maroc des années 1950, Nouhe est forgeron dans un village rural marocain. Veuf, il vit dans la culpabilité, après la mort de sa femme qu’il n’a pas pu sauver lors de sa noyade dans une rivière. Il s’occupe comme il peut de son fils handicapé, à qui il manque les deux bras, avec l’aide d’une petite fille, victime d’inceste. Nouhe tente coûte que coûte de réaliser le rêve de son fils : voir la mer. Un film touchant et bouleversant primé au Festival national du film de Tanger qui aborde des thématiques fortes.


NOUHE NE SAIT PAS NAGER de Rachid El Ouali, avec Rachid El Ouali, Fatime Zahra Baladi, Yahya Ouli…

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.