« Au festival de Gabès le cinéma d’auteur prime »

 « Au festival de Gabès le cinéma d’auteur prime »

Malek Bensmaïl


Le festival de Gabès consacrait une rétrospective au documentariste algérien Malek Bensmaïl en projetant quatre de ses films, "Aliénation", "La Chine est encore loin", "Contre-pouvoirs" et "La bataille d’Alger, un film dans l’histoire". L’occasion d’échanger autour de l’intérêt d’un tel festival et forcément, de la situation en Algérie.


LCDL : Que pensez-vous de l’initiative d’organiser un festival de cinéma dans une ville comme Gabès ?


Malek Bensmaïl : C’est une bonne chose de décentraliser dans ces villes plus au Sud, plus difficiles d’accès. Je trouve que le cinéma est un peu le baromètre de la démocratie, et un tel festival où le cinéma d’auteur prime, permet de ne pas rester qu’avec une élite et d’aller à la rencontre d’un public peut-être plus populaire. Un public venu nombreux qui a soif de cinéma d’auteur et qui ne veut pas rester uniquement dans un cinéma un peu commercial.


Un cinéma différent du cinéma occidental, très populaire et forcément commercial ?


Oui. En Afrique et dans le monde arabe, il y a besoin d’un cinéma de réflexion, avec du cœur, de l’émotion, de l’humour et un peu d’intelligence. C’est un cinéma plus intéressant que le cinéma occidental qui s’enferme de plus en plus dans le cinéma populaire, commercial. Le cinéma de ce que j’appelle "l’autre monde" propose des réflexions car on est en prise à des difficultés sociétales, politiques et de guerres dans la région. En Irak, en Iran, En Afghanistan. Pas mal de choses se passent, l’Algérie bouge, la Tunisie a bougé. En gros, un cinéma qui essaye de se poser pas mal de questions. Le festival de Gabès permet d’aller à l’essence même de ce qu’est le cinéma.


Quel regard portez-vous sur la situation en Algérie ?


Il y a une vraie rupture entre le peuple algérien et le régime. L’ensemble des éléments qui arrivent aujourd’hui étaient prévisibles, il était évident qu’à un moment la population laminée par une décennie sanglante allait sortir d’une léthargie due à une peur extrême, ça n’allait pas durer. La population a compris qu’il y avait une telle manipulation, une telle corruption…


Ca va au-delà de la l’aspect factuel, il y a des problèmes majeurs autour de la question des idéologies. Politique liée au FLN, à la guerre de libération, aux martyrs mais aussi au niveau de l’espace religieux, complètement emblématisé. A un moment donné la population essaye de s’en défaire, comme un corps qui tente de revivre. Je pense qu’il y a un point de non retour car c’est une population qui a été écrasée sous la colonisation, écrasée à l’indépendance.


Le corps algérien était un corps qui était sans arrêt enterré, sous terre. Là il y a quelque chose qui renaît, le corps a besoin de se réapproprier son espace urbain, se réapproprier la voix, le slogan, la rue, la danse, la vie. Je ressens un corps qui est en train de renaître, qui redevient un citoyen, qui garde la tête haute. Ce n’est pas uniquement un mouvement anti-régime, c’est plus profond.


La nouvelle génération n’a plus peur de ce qui s’est passé avant, cette génération numérique avance dans une demande d’une meilleure vie. J’espère que ça va aboutir. On a un régime qui essaye de tenir bon, car économiquement ils veulent continuer de tenir les rênes. La population ne peut pas arrêter tant que tout ça n’aura pas changé. Désormais la balle est dans le camp du régime.

Jonathan Ardines