Floryd Mbakata : « L’élite de la France se trouve en banlieue »

 Floryd Mbakata : « L’élite de la France se trouve en banlieue »

Floryd Mbakata


 


Pourquoi les jeunes Français issus de la diversité ont-ils tant de mal à se sentir français ? C'est l'interrogation centrale du documentaire « En quête d'identité(s) » qui sera diffusé les 19 et 20 septembre prochain sur Public Sénat. Quinze lycéens d'Evry se rendent à Montréal, une des villes les plus cosmopolites du monde, pour voir comment les Canadiens vivent la diversité. 


 


A la base de ce projet, Floryd Mbakata, enseignant à l'université d'Evry, travaillant sur les questions de l'éthique, de la citoyenneté et des droits de l'Homme, nous a répondu à la sortie de la projection du documentaire qui avait lieu, hier (14 septembre), en présence de Patrick Kanner, ministre de la Ville de la Jeunesse et des Sports.


 


Le documentaire atteint-il les objectifs espérés ?


Floryd Mbakata : C'est ce qu'on voulait. Quand je suis parti avec ce projet, l'idée c'était que les jeunes comprennent qu'ils sont français, que c'est leur pays et qu'ils aient la fierté de dire « Je suis français ». Personnellement, j'ai passé plus de temps au Canada et des jeunes qui venaient d'Algérie, qui ne sont pas nés au Canada ou au Québec, dès qu'ils arrivaient, ils disaient tout de suite « je suis québécois ». Ils n'en avaient pas honte. Et, en France, en travaillant dans un collège ou un lycée, j'ai vu une enfant dont les parents sont nés ici, dont les grand-parents sont venus en France, et cette enfant de deuxième génération m'a dit « Moi, je suis Marocaine ». Je me suis dit qu'il y avait un problème. Je lui donne l'exemple de Sarkozy, qui n'est pas de la deuxième génération mais il est français. Je lui ai dit que Manuel Valls n'était même pas né ici mais il est français. Il faut être fier d'être français.


Donc nous sommes partis avec avec cette idée, de faire venir des jeunes à Montréal pour leur dire « écoutez ce qu'ils disent ». Ils ont vu des jeunes comme eux, issus de la diversité, qui se sentent québécois avant tout. C'était ça le message. Les jeunes Français se sont posés la question pendant le voyage, maintenant ils la posent aux autorités : « Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? ». Pour moi, le projet est une réussite. Avec Elie Seonnet [Réalisateur du documentaire, membre du collectif BKE, ndlr], nous avons beaucoup travaillé pour arriver à ce résultat. Nous voulons que ces enfants, nos enfants, prennent ce pays comme si c'était le leur. Les jeunes ont compris et à la fin du documentaire, ils disent même « nous nous sommes sentis français quand nous étions au Québec ». Nous voudrions qu'ils ressentent la même chose ici, en France.


 


Que pensez-vous de la réponse du ministre de la Ville qui a esquivé la question de discrimination en reportant le problème sur le chômage ?


C'est un homme politique avant tout (…) Je parle souvent avec les étudiants de ce qu'avait dit François Hollande, qu'il fallait nettoyer la constitution du mot "race". Pour moi c'était pas mal comme début. Après, il avait dit qu'ils allaient travailler sur les questions de la discrimination dans les quartiers, est-ce qu'on en parle aujourd'hui ? Même pas. On peut comprendre, il y a le problème du chômage, des immigrés qui viennent de partout… Mais il ne faut pas oublier l'objectif : en France, il y a des jeunes, qui sont nés ici, parfois, leurs parents sont nés ici, et on oublie ces jeunes-là. On les met de côté. Alors que, je l'ai toujours dit, l'élite de la France se trouve en banlieue. J'ai vu des jeunes Marocains, Algériens, Bac+5, Bac+8, qui sont aujourd'hui au Canada avec des postes. Ils travaillent pour le Québec, alors que c'est la France qui a formé ces jeunes. Je dis très souvent à mes étudiants : « Regardez dans l'amphi, vous avez différentes origines. Demain vous aurez des diplômes, vous allez quitter ce pays pour aller travailler dans d'autres pays. Le pays qui vous donne cette intelligence, ce savoir, pourquoi ne pas travailler ici ? »


 


Allez-vous donner une suite au documentaire ?


Nous sommes en train de faire une enquête. Lors du tournage à Montréal, j'ai rencontré un éditeur d'origine haïtienne, qui était vraiment amoureux du projet. Il a dit qu'il ne fallait pas s'arrêter là, qu'il nous ouvrait son édition, que nous pouvions faire ce que nous voulions, de lui montrer un plan ou quelque chose. Quand nous sommes partis avec Elie, je lui ai dit que n'aurai pas le temps d'écrire tout ça, mais que je pouvais faire l'enquête auprès des étudiants. Nous sommes en train de finir les enquêtes. A Montréal, j'ai un ami professeur qui est en train de faire la même chose que moi. Après nous allons regrouper toutes les informations pour continuer à savoir si la question que nous avons posée, est la même question qui se pose à d'autres jeunes qui n'ont pas participé à ce projet. La France doit accepter ces jeunes comme tels. Mais la question reste : Est-ce qu'ils doivent se sentir français comme les « français de souche » ? Nous allons dans ce sens-là.


 


Propos recueillis par F. Duhamel


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