Réda Seddiki : « Ca passe ou ça casse »

 Réda Seddiki : « Ca passe ou ça casse »

crédit photo : Serge Kalika


Après une prestation remarquée au dernier Festival d’Avignon, le pince-sans-rire présente son one-man-show à Paris. Et apprivoise avec brio un public volontairement dérouté.


Avec ce spectacle, vous signez une œuvre artistique et politique…


Par définition, un artiste doit être engagé. Dans mes spectacles, je pose des questions sans apporter de réponses. C’est un sujet grave qui m’a poussé à faire ce métier : la situation des étudiants algériens à l’issue de leur cursus en France. Moi, c’est une affiche scotchée sur le mur de l’Institut français de Tlemcen qui m’a attiré ici. Mais, au bout du compte, on nous fait comprendre qu’on est de trop, qu’on mange le pain des Français. On doit alors rentrer avant même d’avoir récupéré son diplôme.


 


Quelles sont vos sources d’inspiration, et comment qualifieriez-vous votre ­humour ?


Tout ce qui m’entoure me procure des sensations. Mes lectures m’aident aussi. En ce moment, je suis plongé dans l’œuvre d’Amin Maalouf. Il y a de vraies punchlines dans ses ouvrages ! Parfois, un seul mot suffit à me transporter. Mon humour se veut décalé. Nos humoristes servent souvent de la “blague couscous” et sont dans la justification. J’aimerais rééquilibrer la balance. En ce qui concerne la colonisation, par exemple, j’inverse la tendance en parlant d’immigration française en Algérie. Il n’y a qu’avec l’humour qu’on peut aborder les sujets tabous ! Et prendre des risques a un côté jouissif. Je ne mets pas tout le monde d’accord : ça passe ou ça casse.


 


Comme lorsque vous comparez Emmanuel Macron au Prophète en Algérie ?


J’ai fait cette vanne trois fois sans problème. La quatrième, un homme s’est levé dans la salle et m’a insulté. Ma famille était présente dans la salle ce jour-là. J’ai gardé mon calme, et ça s’est transformé en conférence. On a ­débattu. J’avais l’impression d’être le Che Guevara de Sidi Bel Abbès. J’ai pu finir mon spectacle et j’assume complètement. Après tout, c’était drôle !


 


Ou lorsque vous buvez du vin pendant le spectacle…


J’aime la notion d’image. Sur scène, il y a une théière et une bouteille de vin. Un soir, une dame voilée a quitté la salle et a attendu la fin du spectacle pour venir me parler. Je lui ai demandé : “Qui vous dit qu’il y a bien du vin rouge dans la bouteille ?” Elle m’avait jugé de la même manière qu’on peut la juger pour son voile. Finalement, on en a ­rigolé. Les gens veulent me ranger dans une case pour se rassurer. Mais j’aime brouiller les pistes. Je prends ces risques au nom de la citoyenneté, de cette double culture dont je suis fier. Car si je ne suis pas français, je me sens français. L’exil ouvre le champ des libertés. Celles de dire ce qu’on veut et de dépasser les frontières.


 


Vous jouez actuellement à l’étage inférieur d’une ­péniche qui pourrait faire penser au fond de cale d’un navire. Sommes-nous tous des migrants ?


Bien sûr ! Je fais d’ailleurs une blague à ce sujet. C’est l’occasion de se mettre à la place de l’autre. La péniche invite également au voyage. J’embarque mon public et je lui fais découvrir mon univers. L’Algérie mérite d’être connue. Les habitants sont passionnants, mais ils se sont renfermés avec les années noires. Le pays s’est pourtant construit sur un mélange de nationalités, il faut perpétrer ça. Je l’imagine comme la Nouvelle-Zélande : les jeunes iraient là-bas pour une année sabbatique, travailleraient dans une ferme et dormiraient chez l’habitant. Ça viendra, j’en suis sûr. Quand l’Algérie n’aura plus de pétrole, elle aura faim et elle s’ouvrira !


Toutes les dates de la tournée, ici


MAGAZINE MARS 2018

Nejma Brahim