Notre sélection de livres du mois de Décembre 2017

 Notre sélection de livres du mois de Décembre 2017

crédit photo : Fred Dufour / AFP


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Trois histoires portées par la fuite, les souvenirs et la filiation.


Exils spirituels



 


Romancière intéressée par la spiritualité et l’Islam, Karima Berger publie un récit sous forme de prière. Née en Algérie, elle raconte son départ pour la France, où elle connaît le froid, la solitude, 

dans cette Sorbonne où le nom d’Ibn Khaldoun n’évoque rien, contrairement à Avicenne ou Averroès, Arabes aux noms latinisés, dont elle se dit qu’ils “seraient peut-être restés inconnus s’ils s’étaient appelés Ibn Sinâ ou Ibn Rushd”. Après l’acquisition de la nationalité française, la jeune femme au nom exotique représente l’Etat au sein de la France profonde, elle s’attache à la Bretagne, nouveau point d’ancrage. Elle s’interroge sur la notion d’exil, de voyage, d’émigration, autant de termes qui renvoient à l’hégire. Dans ce livre où s’entrecroisent souvenirs et méditations sur le Coran et autres textes sacrés, l’auteure regrette que de nombreux musulmans ne cherchent pas à découvrir dans “Le livre” “la poésie de ses récits, ses mystères, le jeu entre cosmos et création, ses leçons de patience, d’humilité”.


HÉGIRES, Karima Berger, Actes Sud (mai 2017), 204 p., 15 €.


 


“L’être unique qui m’aime”



L’écrivain libanais Alexandre Najjar nous offre l’un de ses récits les plus personnels, consacré à sa mère. De souvenirs en anecdotes, c’est tout un pan de l’histoire du Liban qui surgit sous sa plume. Surnommée tendrement Mimosa par son fils, elle fut d’abord l’élève appliquée d’une école chrétienne où chanter du Mouloudji ou lire Madame Bovary était un motif d’exclusion. Etudiante, elle fréquente la librairie Antoine, recopie des pages de Camus, découvre Sartre et Beauvoir, mais aussi Ferré, Ferrat et Brassens. Dans ce Liban d’avant la guerre, où l’on rêvait autant en français qu’en arabe, des parents pouvaient prénommer leurs filles Junon ou Minerve, et on allait écouter en famille Karajan au Festival de Baalbeck. Puis la guerre civile bouleverse cette existence tranquille. Collège et maison bombardés, la mort évitée de justesse, l’exil en France, le retour au pays du Cèdre. Et puis ce rêve de Venise que la maladie et la mort empêcheront de se réaliser. Une émouvante déclaration d’amour d’un écrivain à sa mère.


MIMOSA, Alexandre Najjar, éd. Les Escales (novembre 2017), 144 p., 14,90 €.


 


Une traversée du siècle



Trente ans après la parution de son premier roman, l’écrivain Ali Bécheur publie une fresque qui embrasse l’histoire de la Tunisie du XXsiècle. Le héros raconte la vie de son père sous le protectorat. Après la Première Guerre mondiale, l’adolescent tunisien va à l’école des “roumis”. “Deux villes, deux langages. On parlait l’arabe à la maison et le français à l’école.” Il est “un des premiers indigènes à s’inscrire au barreau”. Devenu avocat, il se marie à une jeune fille qu’il n’a vue qu’en photo. A travers l’histoire du père et du fils, l’auteur raconte ici les profondes transformations de la société tunisienne en évoquant des figures historiques, tel le jeune fondateur du parti Neo-Destour, Habib Bourguiba, ou encore le poète Abou El Kacem Chebbi. Il donne vie aussi à des dizaines de personnages qui semblent tout droit sortis de cartes postales en noir et blanc. Une Tunisie en effervescence où “on polémiquait, on débattait de politique, de littérature, d’art, de théologie, et surtout du mouvement national qui les libérerait enfin du joug de la puissance coloniale”.


LES LENDEMAINS D’HIER, Ali Bécheur, éd. Elyzad (août 2017), 272 p., 19 €.

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