Slimane Dazi : « Ce livre est un cri de colère écrit avec mon sang »

 Slimane Dazi : « Ce livre est un cri de colère écrit avec mon sang »

Presse


Né en France avant l’indépendance de l’Algérie, l’acteur attend toujours que l’administration lui accorde la nationalité française. Dans “Indigène de la nation”, d’une plume sensible, révoltée, il revient sur son parcours. Un récit captivant. 


Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un récit auto­biographique ?


C’est un cri de colère, écrit avec mon sang, après avoir accumulé des refus de visas, des rejets aux postes frontières des aéroports, des humiliations… Comme cette fois où, alors que je me rendais à un tournage en Irlande, un agent de sécurité mandaté par la compagnie aérienne m’a interdit l’accès à l’avion. J’avais pourtant mes billets et mon contrat de travail. La ­situation est tellement absurde ! On est né en France, on fait partie de la vie sociale, culturelle et économique, mais parce que les accords d’Evian ont décidé de retirer le droit du sol aux enfants nés de parents algériens avant le 1er janvier 1963, on nous demande de ramper encore une fois pour devenir français !


 


A quelles difficultés devez-vous faire face ?


Pour ma demande de réintégration dans la nationa­lité française, je dois fournir une liste vertigineuse de documents, mais surtout, je dois passer un test de niveau en langue française. Je trouve ça très humiliant. A l’étranger, je suis un Français, mais quand je reviens, je me retrouve dans la file des migrants… Ce n’est pas normal. J’ai la possibilité de m’exprimer, mais combien ne sont pas dans mon cas, réduits au silence ? Il y a eu assez de dégâts. Il est temps de faire avancer les choses pour que ces citoyens français n’aient plus ce statut de résident. La part de responsabilité des instances politiques et étatiques est immense. L’administration française a un vrai problème avec ses anciennes colonies, et tout particulièrement avec l’Algérie.


 


Votre génération, celle des “grands frères”, est sacrifiée, dites-vous. Dans quel sens ?


Sans faire de nostalgie mélo, j’ai plongé dans mes souvenirs, et même au-delà : je parle de mon grand-père, arrivé en France en 1936, du dur labeur de mon père, qui a émigré dix ans plus tard, et qui a travaillé à la mine et a reconstruit le métro parisien. J’évoque l’époque des Trente Glorieuses, des cités ouvrières, où les gens de la même condition sociale étaient solidaires… Malheureusement, cette solidarité n’existe plus. Puis, il y a eu l’arrivée de la drogue dure dans les quartiers, qui a fait des ravages. Elle a établi des frontières, influencé les relations entre les voisins. A l’époque, quand on portait beau, c’était pour accompagner un copain, mort d’une overdose, dans sa dernière demeure. La came est venue d’une manière très insidieuse. Comment ? Pas par l’opération du Saint-Esprit ! Ça a été un moyen de nous étouffer, de tuer cette ­parole et cette force présentes dans les quartiers, cette solidarité ­ouvrière entre les parents, les enfants, qui jouaient et allaient à l’école publique et laïque, faisaient du sport ensemble, montaient des groupes de musique, flirtaient… C’était beaucoup moins sectorisé et communautaire qu’aujourd’hui. La deuxième génération s’est emparée de la came pour la vendre, pas pour se l’injecter. Ça a donné les ghettos, gangrenés par les guerres de gang, les tueries entre fratries.


 


Que voulez-vous transmettre aux jeunes générations à travers votre témoignage ?


Je veux dire aux gamins qu’avec une plume et un ­cahier, on peut aussi faire des bombes, mais des bombes positives. Il faut utiliser tout son potentiel, et le cracher sur le papier, avec une caméra ou un appareil photo. Et ne jamais baisser les bras. Ensemble, on peut essayer de traiter ce mal qui existe en France ­depuis que je suis né. Ça me met vraiment en colère de voir la troisième, quatrième et bientôt la cinquième génération issues de l’immigration toujours considérées comme des Français de seconde zone. Ils doivent fournir dix fois plus d’efforts que les autres pour s’en sortir, leur dossier est toujours en dessous de la pile… Alors, évidemment, ça crée des frustrations, de l’agressivité, et ça engendre des bombes humaines.


 


Quel regard portez-vous sur les événements qui ont frappé la France ces dernières années ?


Certains opportunistes barbus utilisent le Coran de travers, et ont lobotomisé le cerveau de jeunes fragiles. On va me dire qu’à chaque fois qu’il y a des attentats, ce sont des musulmans. Non ! Ce sont d’abord des Français, des Belges. S’ils ont choisi l’extrémisme religieux, c’est à vous de vous poser des questions, de comprendre pourquoi. Il faut arrêter de regarder le monde par le ­petit bout de la lorgnette comme les médias nous l’imposent. Mais tout ça fait le jeu des grandes sociétés et des politiques, parce que ce problème-là en cache un plus profond, socio-économique : le pays est malade ­depuis des années.


 


Le cinéma français doit aussi être plus représentatif de la réalité du pays…


Oui. Dans les scénarios étrangers que je reçois, les personnages de migrants qu’on me propose ne sont ­jamais larmoyants. Ils ont leur dignité. Mais en France, aujourd’hui, que ce soit dans les séries ou au cinéma, ce ne sont que des stéréotypes, des clichés. Mon agent lit d’abord les scripts : si c’est un rôle de terroriste, de dealer, il les écarte d’emblée. Moi qui suis un vrai titi parisien, je pourrais interpréter le fils de Jean Gabin. Pourquoi je ne m’appellerais pas Pierre, Paul ou Jacques ? Je peux rapper la langue, faire des alexandrins… C’est quand même hallucinant ces caricatures, ce ne sont pas des propositions, mais des insultes. Tout cela n’aide pas à faire évoluer les choses. Certains producteurs et réalisateurs disent que j’exagère, mais qu’ils aillent sur le terrain observer les gens avant d’écrire leur scénario. La Haine (film de Mathieu Kassovitz sorti en 1995, ndlr), c’est un cliché, le regard d’un bourgeois sur la banlieue. Kassovitz a été filmer le zoo !


 


Quelle serait la solution, selon vous, pour dépasser ces clichés ?


Il faut donner aux jeunes les moyens de devenir les artistes de demain, pour qu’ils racontent leurs histoires. J’adore travailler sur des premiers films, avec le sang neuf, il y a un vrai échange. Je suis fier d’avoir été juré du festival de cinéma Tapis bleu, créé par le jeune acteur Soufiane Guerrab, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Il donne sa chance aux jeunes des quartiers, aux réalisateurs en herbe, comédiens, futurs chefs opérateurs… Soufiane n’a pas oublié d’où il vient. On garde espoir, mais on sait que si on ne fait pas les choses nous-mêmes, on ne nous les proposera pas. 


 


INDIGÈNE DE LA NATION



Slimane Dazi, Don Quichotte Editions, 256 p., 18 €.

La rédaction du Courrier de l'Atlas