Yasmina Khadra : « Le livre est de retour »

 Yasmina Khadra : « Le livre est de retour »

crédit photo : Leonardo Cendamo/Leemage/AFP


Dans son dernier ouvrage, le romancier algérien adresse une lettre d’amour au Sahara de son enfance. Il observe avec satisfaction un regain d’intérêt pour la littérature francophone et l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains dans son pays. 


Vous êtes un enfant du désert. En quoi lui êtes-vous redevable ?


Le désert est fait d’humilité. Lorsqu’on est enfant du désert, on est l’enfant d’une vérité immuable. C’est en quittant ce lieu que l’on se dilue dans la masse, que l’on devient l’interprétation des autres. Le désert me restitue ce que mon environnement m’a retiré : ma ­famille m’a confisqué mon enfance, l’armée mon talent d’écrivain, le milieu littéraire mon authenticité… Le désert me rend tout cela.


 


On a le sentiment que ce recueil s’apparente à un ­bilan ou à une crise existentielle.


Il ne s’agit pas d’une crise identitaire ou existentielle, mais de la façon dont le désert me considère : telle une finitude insignifiante face à ma certitude d’exister. Je ne suis pas venu me mesurer à sa grandeur, mais lui signifier ma gratitude, car le désert est un lieu ­extatique où le sentiment “d’être” est poussé à son ­paroxysme. Un bilan ? Peut-être… Car la rumeur et la ­calomnie, qui me poursuivent depuis vingt ans, nécessitent une réponse (son passé d’ancien officier de l’armée algérienne a suscité des controverses et il fut accusé par deux fois de plagiat, ndlr). Cela fait deux décennies que je me sens exclu en France. Plutôt que de laisser la ­parole à certains biographes ou à des personnes mal intentionnées sur la teneur de mes livres, il est important de mettre les points sur les “i”…


 


Vous considérez-vous comme un auteur francophile ?


Je ne suis ni francophile ni francophone. Je suis juste un ­romancier. J’ai simplement fait le choix de la langue française. Je ne suis pas grammairien, je suis un amoureux, une sorte de poète en quête de modes d’expressions. Cette langue m’a permis d’exprimer ce que je ressentais profondément. C’est au français que je dois ma renommée internationale. Enfant, je voulais être un poète arabe, comme Al-Mutanabbî. Il est, selon moi, l’octave supérieure de toutes les poésies. Empreint de cette dimension, j’ai commencé dès l’âge de 11 ans à écrire des poèmes dans le style “qasida” (forme poétique originaire de l’Arabie préislamique, ndlr), mais j’ai été ­humilié par mes professeurs… Il n’existait pas, à l’époque, de pédagogie d’accompagnement et d’encouragement des écoliers. Aujourd’hui, je suis l’un des écrivains arabes les plus lus et les plus traduits au monde… mais les Arabes ne me connaissent pas. J’ai plus de lecteurs à Singapour que dans l’ensemble du Moyen-Orient !


 


Comment se porte la littérature francophone au ­Maghreb ?


Elle se porte globalement bien en Algérie. En 2002, au salon ­d’Alger, il y avait deux pôles : la théologie, très fréquentée, et la ­littérature, complètement ­désertée… Une génération entière a ­divorcé des livres, car elle n’a pas trouvé de repères pour s’orienter. Mais les choses ont changé. La littérature francophone a ­apporté aux Maghrébins le bonheur de lire. Certains me disent que mes ouvrages leur ont permis de s’initier à la lecture. ­Aujourd’hui, on constate que l’ensemble des auteurs algériens ont trouvé leur lectorat. Cela prouve que le livre est de retour. On ­assiste à l’émergence d’une nouvelle génération d’écrivains qu’il faut encourager.


 


Justement, quels conseils leur donneriez-vous ?


Si l’on veut réussir dans cette vocation, il faut l’approcher avec amour. C’est en l’aimant que l’on rencontre le génie, sinon, on ne voit que la faute de frappe, la coquille… Les écrivains frustrés sont ceux qui ouvrent un livre et passent leur temps à traquer la faute… Ils ne savent pas qu’écrire ce n’est pas forcément rédiger ­correctement, mais c’est écrire grandement !


 


La langue française serait-elle un frein pour les jeunes écrivains maghrébins ?


Ce n’est pas mon avis, bien qu’elle engendre parfois des problèmes de communication. Le peuple algérien, par exemple, a tendance à reproduire les mêmes histoires, les mêmes réflexes et lapsus malheureux… Il comprend parfaitement le français, il ­regarde les chaînes de télévision françaises, mais il a du mal à s’exprimer aisément. Il n’y a pas d’éducation littéraire forte pour permettre à la langue de s’ancrer à travers ses fibres sensibles et son esprit. L’expression devient une espèce de “sabir”, mélange de mots français et arabes, et le peuple se perd dans un langage quotidien que je considère comme appauvri. A mes débuts, j’avais moi aussi des difficultés à communiquer en français. Et pourtant j’écris dans cette langue. 


 


Sa Majesté des Dunes



Yasmina Khadra nous entraîne dans un roman à tiroirs, empreint de poésie, de philosophie et de phénomènes étranges. Dans le Sahara, un dialogue s'installe entre l’homme et le désert. Il résonne au creux des dunes, de mirages, de tempêtes, d’étoiles filantes et de fantômes lumineux… A l’image du hatif, cette voix qui interpelle le voyageur esseulé au fond du désert, l'auteur rend hommage à son reg, celui de son enfance à Kenadsa, si aride en apparence et pourtant si vivant. De sillons en tracés Ce que le mirage doit à l’oasis se révèle aussi un manifeste pour l’environnement.


CE QUE LE MIRAGE DOIT À L’OASIS , de Yasmina Khadra, illustrations de Lassaad Metoui, éd. Flammarion (novembre 2017), 1192 p., 21,90 €.


MAGAZINE MARS 2018

Samira Houari