Adama : « Je veux aider les stylistes africains à se faire connaître »

 Adama : « Je veux aider les stylistes africains à se faire connaître »

crédit photo : Mario Epanya – Africa Fashion International


C’est à 9 ans, en assistant à un défilé de mode d’Yves Saint Laurent, qu’Adama sait qu’elle veut devenir styliste. Après avoir lancé sa griffe, cette Sénégalaise engagée jongle entre ses nombreuses casquettes, dont celle de directrice artistique d’Afrifata, un festival dédié aux créateurs du continent.


Quel est l’esprit de la marque Adama Paris ?


La femme qui porte du Adama Paris est multiculturelle et libre. Elle ne se laisse rien dicter. C’est une guerrière qui choisit des vêtements simples, pratiques et élégants. Pour moi, raffinement doit rimer avec simplicité et confort. Un vêtement se porte au quotidien et ne reste pas dans un dressing.



Comment est née votre envie d’explorer d’autres ­métiers liés à la mode ?


Cela fait maintenant seize ans que je suis dans cette industrie, pas uniquement en tant que styliste. Je veux compenser un manque et répondre au besoin des créateurs de montrer leur travail. J’organise huit fashion weeks chaque année dans plusieurs pays : au Sénégal, au Mali, en République du Congo, en Angola mais aussi en France, au Brésil, au Canada et aux Etats-Unis. Il y a trois ans, j’ai créé la chaîne de télévision Fashion Africa, disponible sur le bouquet Canal+. Je possède aussi un magazine. Tous ces projets ont permis à des stylistes du continent africain de se faire connaître. Alia Baré, qui défile dans le cadre d’Afrifata, en fait partie. Je n’ai pas d’enfants et je me plais à croire que tous ces jeunes talents que je contribue à faire émerger sont les miens en quelque sorte.



Comment avez-vous vécu la polémique dont a fait l’objet la Black Fashion Week de Paris à son lancement, en 2011 ? Les critiques à l’égard de cette “semaine de la mode noire” que vous avez fondée, ont été très virulentes.


J’ai créé la Black Fashion Week, parce que c’était très dur, en tant que noire, d’intégrer la Fashion Week. J’ai reçu quantité de menaces et d’insultes. J’en ai beaucoup souffert. C’est bien plus que du racisme. On n’a pas apprécié que je prenne du pouvoir en lançant un tel événement place Vendôme, alors que celui que j’avais organisé à Prague n’avait suscité aucune hostilité. Pourtant, derrière le mot “black”, il n’y avait rien de communautaire. En l’utilisant, je ne fais absolument pas référence à la couleur noire, mais à la culture “black” que je revendique. Les créateurs africains ont besoin de cette exposition en Europe.


 


Vous projetez également d’ouvrir une usine de production de vêtements au Sénégal. Comment fonctionnera-t-elle ?


Ce lieu de production ne ressemblera pas aux usines chinoises. On y fabriquera de la mode éthique et responsable. Pour être compétitif, il faut exceller avec du “made in Africa” très bien fait. Dans cette usine, ou plutôt ce gros atelier, je réunirai les artisanes avec qui je travaille depuis vingt ans. Nous, Africains, y fabriquerons intégralement des pièces qui nous ressemblent, sans attendre que d’autres le fassent et s’approprient ce qui nous appartient. Je ne produirai pas 20 millions d’une même pièce mais 1 000 ou 6 000 de très bonne qualité. Ce projet devrait voir le jour d’ici à 2020.



Vous êtes une citoyenne du monde. Vous avez vécu dans de nombreux pays et vous avez choisi de vous installer à Dakar il y a une dizaine d’années. Pourquoi ?


C’est parce que j’ai eu la chance d’avoir vécu ailleurs. Je suis née au Gabon de parents diplomates sénégalais. J’ai vécu en France puis aux Etats-Unis, où j’ai appris à ne pas considérer le “non” comme une réponse et développer mon sens de l’entreprenariat. A la France, je dois ma mode à la fois classique et stylée. Et l’Afrique a fait de moi une passionnée. J’ai beau avoir des papiers français, dans ma tête, je reste une immigrée. Et un immigré, c’est une personne qui part pour chercher et revient pour donner. Ce que je réalise en Afrique est un million de fois plus important que ce que je pourrais faire ailleurs.


 


Comment expliquez-vous que les stylistes africains aient plus de succès à l’étranger et auprès de la diaspora que sur le continent ?


Les choses évoluent doucement, mais effectivement, comme l’Afrique a été dans sa grande majorité colonisée, persiste ce complexe selon lequel “ce qui vient d’ailleurs est mieux”. C’est une question d’éducation. Il faut apprendre à nos jeunes à mieux connaître leur histoire et leur patrimoine. 


 


AFRIFATA, L’AFRIQUE, C’EST CHIC



Un festival dédié à la mode où défilent des créateurs venus des quatre coins du continent. Telle est l’ambition des stylistes franco-marocaines Nawel Debbouze et Zineb Kadiri en créant Afrifata, dont la première édition s’est tenue du 3 au 6 mai derniers à Casablanca. Une occasion de mettre en lumière le travail d’une vingtaine de stylistes originaires d’une douzaine de pays (Ethiopie, ­Angola, Afrique du Sud, Tunisie, etc.). Les deux plus prometteurs d’entre eux ont été récompensés par le jury. Ainsi, la Nigérienne Alia Bare, à l’origine de la griffe Faith to Faith, et l’ivoirien Zak Koné, à la tête de Pelebe, auront la chance de défiler à nouveau lors du Festival international de la mode africaine (Fima), qui fêtera ses 20 ans en novembre à Dakhla.

Fadwa Miadi