La chronique du Tocard. A l’école de la République

 La chronique du Tocard. A l’école de la République


 


La rentrée des classes de 1983 en 6ème, au collège Alfred Sisley de l’Ile-Saint-Denis, à deux pas de la cité Maurice Thorez, s’annonçait comme sur des roulettes, étant donné ma superbe saison en Cm2 où j’avais fini l’année à la 10ème position, sur un total de 32 élèves, ce qui n’était pas du tout une mauvaise place, compte tenu du pedigree de mes camarades, une majorité de « Bourgeois », qui parlaient comme des bibliothèques, très cultivés dès le biberon, dotés d'un niveau général qui mettait la barre très haut. 


 


Je quittais l’école primaire Paul Langevin avec tristesse mais aussi avec une confiance herculéenne, persuadé que le collège n'était qu'une suite logique à ce merveilleux endroit d'apprentissage pour tous, de classe internationale, avec de la mixité sociale remarquable à tous les niveaux, avec pour composante, une multitude de profils, du fils de toubib, en passant par des enfants de professeurs ou d’artistes et des mômes d’ouvriers. 



Une diversité réelle qui profitait à tous, et en premier lieu à nous, gamins des cités qui avions, comme tous les enfants de ce monde, le mimétisme comme ADN. 



La majorité des élèves de notre classe de CM2, comme Benoit, Carine, Aude et les autres enfants qui vivaient dans les beaux quartiers de la ville avaient de si bonnes notes, que ça donnait trop envie de les photocopier. Entre nous, ils ne méritaient pas non plus une médaille de l'effort véritable, parce que leur excellence, ils la devaient surtout à la bienveillance de papa et maman, qui grâce notamment à leur CB bien fournie, pouvaient leur offrir ce qu'il y avait de meilleur en termes éducatifs, comme des cours particuliers, ou des visites dans les musées, pendant que nous, nous usions nos baskets à jouer au foot dans les bacs à sable, parce que l'école de la République, malheureusement ça ne suffit pas. 



Le reste des enfants, et moi le premier, suivions le troupeau de la réussite, parce qu’à cet âge-là, on est tous foutus de la même manière et que chacun voulait faire partie du groupe majoritaire. Grâce à l'esprit de compétition, chacun donnait le meilleur de soi pour viser les premières places. Alors, finir 10ème dans ces conditions avec des parents prolos illettrés, c'était déjà un exploit. 



Pour mon premier jour en 6ème, ma mère m'avait forcé à être bien sapé de la tête aux pieds, pour faire bonne impression. La semaine avant la rentrée, elle était partie toute seule à « Tati Gare du Nord », faire des courses, où son illettrisme n'avait pas été trop handicapant pour se déplacer, parce qu’il suffisait d'un seul arrêt en train de le gare de Saint-Denis pour rejoindre l'enseigne bon marché. 



J’avais eu droit à de nouvelles chaussures, un jean tout neuf et une chemise à carreaux. Je faisais sérieux. Une tenue vestimentaire que j’allais très vite abandonner, pour m'intégrer à mon nouveau décor. Une fois arrivé au collège, j’allais être affecté dans une superbe classe, « la meilleure de toutes », j’avais pensé, parce que j’avais retrouvé une multitude de mes amis de la cité. La crème des crèmes, une classe bien fournie avec ses 45 élèves, où on allait bien se fendre la poire: « plus on est, plus on rit », et certains de mes camarades étaient tellement en avance sur la vie qu'ils avaient quatre ans de plus que moi. 



En vérité, la plupart d'entre eux étaient des cas sociaux, qui auraient eu besoin d’un suivi individuel. Nos profs étaient sympas, vraiment de bonnes personnes, le cœur tellement sur la main que je m’étais demandé s’ils n’étaient pas des humanitaires, souvent absents aussi, bon, à l’époque, les arrêts maladies, tu pouvais en abuser autant que tu voulais, des enseignants rarement remplacés à cause du manque de moyens, majoritairement jeunes, avec très peu d'expérience du terrain de la banlieue donc, issus de provinces de la Gaule moderne, affectés chez nous parce que mal notés. Bref, un beau mélange pour la réussite. 



Moi, j'allais faire tellement illusion que ma première année au 6ème, j'allais finir en tête : 1er de la classe ! Je me souviens du bonheur de ma mère en apprenant ma pôle position. 

Ce qui ne m’était jamais arrivé. Même au Cp ! Une progression hallucinante par rapport à ma dixième place au CM2. Mais ma médaille d'or n'était qu'un trompe l’œil et cachait une cruelle réalité. 

Les neufs premiers du Cm2, Benoit, Carine, Aude et les autres enfants qui vivaient dans les beaux quartiers de la ville et qui m’avaient fait tant progresser à l'école primaire avaient foutu le camp, nous abandonnant. Finie la mixité sociale. Il ne restait plus que nous, les classes dangereuses, les damnés de la société. Le niveau général allait terriblement baisser. 



Leurs parents, de beaux enfoirés, qui savaient garder un secret pour eux tout seuls, s’étaient démerdés pour placer leurs progénitures ailleurs. Ils connaissaient parfaitement les rouages du système. Quand les uns choisissaient une première langue étrangère rare pour que leurs enfants soient inscrits dans un collège plus fréquentable, ou faisaient jouer leurs réseaux afin  d'obtenir une "adresse" à proximité  d'un bon établissement, les autres signaient un chèque pour les inscrire dans des écoles privées.



Au début, je me suis accroché, en essayant de ne pas trop laisser de plumes en route. Je vivais sur mes acquis. Mais les redoublants, pour nous, étaient des modèles. Plus forts physiquement, plus sûrs d’eux, plus marrants. En avance sur la vie, mais en retard à l’école. Fallait qu’ils deviennent tes potes si tu voulais passer quatre piges peinard. Faire des bêtises, comme eux, pour être accepté.


Ça s’est fait naturellement. Je les aidais en contrôle, ça me permettait de suivre, d’être pas trop à la ramasse. Et puis, tiré vers le bas, j'ai commencé à lâcher. En 4ème, je ne foutais plus rien. Au lieu d'étudier consciencieusement, comme je l'avais appris à l'école primaire, je préparais à chaque contrôle des antisèches. J'avais perdu le goût d'apprendre. 



J'ai triché toute ma vie. Au Brevet des collèges. Au Bac. Tout le temps. Sans relâche. 



Cette soif de savoir, je l'ai retrouvée un peu par hasard quelques années plus tard en entrant à l'école de journalisme. Sur place, au début, j'étais largué, complètement à la ramasse, perdu au milieu de l'immense majorité de mes camarades de classe, des fils de bourgeois, qui comme Benoit, Carine, Aude parlaient comme des bibliothèques et avaient baigné dans un océan de cultures, de savoirs et de voyages enrichissants. M'obligeant, comme à l'école primaire, à suivre le troupeau de la réussite.


 


Nadir Dendoune


 


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Nadir Dendoune