La chronique du Tocard. L’homophobie n’a pas de religion

 La chronique du Tocard. L’homophobie n’a pas de religion


 


En Australie, qui est d’abord un pays anglo-saxon par excellence où chacun a sa chance professionnellement, peu importe la couleur de ta peau, peu importe également si t'es pas passé par une « grande école », l’inverse de la France, où prédomine un système sectaire, raciste, sexiste et élitiste, j’avais trouvé un job de prof de sport à deux mètres de chez moi, dans une école primaire, malgré l’absence assumée de diplôme certifié.


 


J’avais vu la petite annonce placardée à la superette du coin et j’étais parti le lendemain me présenter en short et tongs parce qu’à Sydney, le soleil brille par son arrogance et que seules les compétences comptent. J’avais dit les yeux dans les yeux au recruteur que je m’y connaissais un peu avec les gamins. Je lui avais raconté que je m'étais occupé des mômes de mon quartier, «  de la racaille à nettoyer au karcher », comme ils disent, mais qui étaient en vérité, quand tu les connaissais bien, aussi sensibles que des caramels mous et ça voulait dire que j’avais une expérience en béton armé.



J’avais été donc embauché sans plus attendre pour le jour d’après. Je pouvais dire aussi merci à mon accent bien français qui faisait craquer tout le monde là-bas et qui semblait coller avec ma tronche de métèque, parce que personne n’avait cru un instant en me voyant arriver qu’ils avaient affaire à un Algérien maquillé bleu blanc rouge. Non, je faisais 100% Gaulois. Et puis en 1995, un Gnoule pouvait encore avancer masqué….



Le job était sympa je l’avoue, la paie faisait pitié certes, mais le déficit pécuniaire était compensé par une qualité de vie magistrale,  avec notamment des horaires décalés qui te laissaient le temps d’aller poser ta serviette à la plage entre 13 et 16h. Et puis, il y avait une superbe ambiance au sein du boulot: les mômes étaient extras. Et surtout il y avait une de mes collègue Jodie qui allait devenir une frangine tellement on était tous les deux en harmonie. J'allais m’entendre avec elle très bien au premier clin d’œil, comme si on s’était toujours connus.



Jodie avait la peau noire et la peau blanche mélangées, comme un café crème, un ness-ness comme on dit en Algérie, qui faisait d’elle une métis au charme fou et au sourire dévastateur. Avec les enfants, elle était exceptionnelle de gentillesse et on allait devenir d’abord une équipe de choc, avant d'être des amis fidèles, une amitié qui n'a pas cessé d'être, jusqu'à aujourd'hui et malgré la distance qui nous sépare : elle vit toujours à Sydney. 



Malgré ses origines à moitié africaines, elle était très australienne, parce qu'au final,  elle n'avait connu que ce pays. Le soir, après le boulot, elle m’emmenait souvent dans des pubs très branchés pour boire des mousses et je faisais trop demi-portion quand je commandais juste de la limonade avec une paille pour boire tout doucement. Tout le monde autour de moi prenait un malin plaisir à se défoncer la tronche. Jodie, elle, buvait toujours avec intelligence, l'autre mot pour dire, modération.



Sauf un jour, où Jodie avait le moral dans les chaussettes et là, elle avait décidé d'enchaîner les whiskys coca pour noyer son chagrin dans l'alcool. C'est à ce moment précis qu'elle avait décidé de se confier à moi. Jodie m’avait raconté en chialant combien c’était difficile d’être homo parce que la vie était déjà assez compliquée quand on est hétéro. Seulement, les mecs, ça l’avait jamais fait vibrer.


Elle avait essayé, pour être sûre de son choix, d'avoir un petit copain en se disant que l'appétit viendrait en s'embrassant. Plusieurs fois. Pour ressembler au groupe majoritaire. Pour éviter l'exclusion. Pour être comme les autres filles. Mais comme la sexualité, c’était une question de désir, elle avait compris avec le temps qui passe et les déceptions qui vont avec, qu'il fallait juste qu’elle s’accepte comme elle était. Jodie et moi, on était pareil : on avait tous les deux une préférence pour les filles.



Sur le coup, comme c’était la première fois que je me liais d’amitié avec une homosexuelle, je savais pas trop comment réagir à cette nouvelle qui, au fond n'en était pas une. En vérité,  ça changeait rien à l'amitié qui nous liait tous les deux. Un jour,  elle m'avait présenté son autre moitié, une nana rigolote toute belle,  toute pétillante, et j'étais comme un con à ne pas savoir comment me comporter avec elle. Même avec Jodie, j'étais moins à l'aise.


J'ai eu honte de mon comportement tout de suite parce que ça m’a rappelé ce que je vivais en France. Ça m’avait rappelé comment les gens avaient l’habitude d’être avec moi, soit en mode condescendant, soit en mode méprisant, juste parce que j’étais arabe et que pour eux, je suintais la différence.



Et puis, je l’aimais tellement Jodie, que même si j'avais voulu, j’aurais jamais pu être homophobe avec elle. Pour elle, je n’aurais jamais pu l’être avec quelqu’un d’autre, non plus. Elle avait fini par sentir mon malaise, alors je lui avais expliqué mon background, qui est comme un contexte qui permet de mieux comprendre certaines choses.


J’avais grandi dans une cité de Seine-Saint-Denis où l’homosexualité, comme partout ailleurs en France, je le rappelle pour ceux qui ont la mémoire courte, était encore très taboue à l‘époque. L’homophobie n’était pas l’apanage des mecs de quartiers : toute la France était bel et bien touchée. A la cité, en vrai,  on n'était pas homophobe. C'est juste qu'on en parlait très peu. On avait d'autres soucis à l'époque,  comme s'offrir un meilleur avenir et lutter contre toutes les injustices sociales. 


Et puis honnêtement, mes parents m’avaient tellement élevé dans l’amour et les plus grands de la cité étaient tellement à gauche que si un type de chez nous, nous avait avoué qu’il en pinçait pour les mecs, on s’en serait tous battu les rumstecks. Au quartier, on a commencé à parler de ce sujet là, à cause du Sida parce que les gens disaient que c'était la maladie des homosexuels. Mais, en vrai, le Sida touchait aussi les plus fragiles, comme les toxicomanes. Une putain de maladie qui nous a enlevés quelques êtres chers à la cité.



Aujourd'hui, afficher clairement son homosexualité est tout aussi difficile qu'hier. A la cité, mais aussi un peu partout en France : villages et villes de province inclus. Sans exception. Beaucoup disent que c'est l'islam qui est responsable de l'homophobie dans les quartiers mais nous,  à l'époque,  la religion musulmane était quasi inexistante à la cité et ça n'empêchait pas l'homophobie de certains, qui étaient athées de A à Z. Avec ce qu'il s'est passé il y a deux jours à Orlando, je me suis dis qu'il était important de le rappeler….


 


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune