La chronique du Tocard. La chance d’être toujours là

 La chronique du Tocard. La chance d’être toujours là


 


Malgré et malgré des tas de trucs, le physique incomplet, l’intellect qui laisse parfois à désirer, mes crises d’humeur, mes mauvais choix, un compte en banque que j’aimerais voir plus fourni, j’étais moi aussi du côté de la chance. Cette chance qui me permettait à ce jour d’être toujours là…


 


Samedi dernier, juste après le café, la terre avait tremblé au Népal, dans un pays que je connaissais bien et qui m’avait tant donné. Grâce à lui, le 25 mai 2008 au matin, j’étais arrivé au bout de mon plus gros challenge : j’avais gravi l’Everest. Après mon ascension victorieuse, pendant quelques mois, je m’étais senti invulnérable, submergé par un bonheur tellement profond qu’indescriptible. 


Parti sans aucune expérience en montagne et mythonnant du début à la fin, présentant un faux CV d'alpinisme aux organisateurs de l’expédition, j'allais pourtant atteindre le plus haut sommet du monde, grâce un peu, avouons le, à mon abnégation mais surtout grâce à ma chance. Et puis aussi grâce à l'aide de ces sherpas, ces guides népalais, méconnus de tous, n'obtenant jamais la gloire, alors qu'ils sont les véritables héros de l'alpinisme. Sans eux, aucun occidental n'atteindrait le Toit du monde. 



Pendant les deux mois qu'a duré l'ascension, toutes les conditions avaient été réunies pour mener à bien mon projet : une météo parfaite (surtout le Jour J, au sommet: ciel bleu et pas de vent), une forme olympique, à peine un mal de tête. Avec tous ces éléments positifs, j'étais obligé de réussir. 7 ans plus tard, la donne avait changé. 


A l’heure où j’écrivais ces lignes, le Népal n’en finissait pas d’extraire ses morts des décombres. Des milliers de cadavres, des malchanceux, des pauvres victimes qui s’étaient trouvées au mauvais endroit, au mauvais moment. Aucun peuple ne méritait ça mais encore moins le Népal qui faisait partie des pays les plus pauvres au monde. Du malheur ajouté à du malheur…Une sacoche remplie de malchance…Et leur calvaire n'était pas prêt d'être fini. Des centaines de milliers de Népalais se retrouvaient sans abri. 


En apprenant la terrible nouvelle, j’avais tout de suite pensé à Tahar Manai, ce jeune Franco-Tunisien de 26 ans, un petit frère, un gamin en âge mais un bonhomme dans la vraie vie, parti le courage en étendard, il y a près d’un mois à la conquête de son rêve : lui aussi, il voulait dompter la plus haute montagne du monde et hisser pour la première fois à 8848 m le drapeau de la Tunisie, pour rendre fière toute une nation, à un moment où son pays traversait une période difficile. Le geste était noble et il avait quitté la France gonflé à bloc.


Au moment où Mère Nature avait décidé d'aller tout foutre en l'air, Tahar se trouvait heureusement du bon côté du camp de base de l’Everest, car l'autre côté avait été durement touché par plusieurs avalanches. L’épicentre du séisme avait pourtant eu lieu loin de là, quelque part à 80 kilomètres de Kathmandu, mais sa magnitude avait été tellement forte qu’elle avait été ressentie jusqu’au camp de base. Dans le malheur, Tahar avait eu de la chance.D'autres de ses collègues n’avaient pas eu cette chance. 


Cette année encore, sur la route de l’Everest, après les 16 sherpas népalais qui avaient péri dans une indifférence quasi-générale en 2014, 18 personnes, des alpinistes étrangers et aussi des sherpas népalais, étaient mortes. Comme l’année dernière, les ascensions pour atteindre le sommet d’une des montagnes les plus convoitées allaient donc être annulées. C’était comme si que le Toit du Monde ne voulait plus voir personne gravir ses pentes. Etait-ce un signe ? Fallait- il écouter davantage la déesse des montagnes? 



En apprenant  le désastre, mes pensées étaient allées très vite vers la famille de Tahar. A sa sœur notamment, une des merveilles de mon monde. Je les imaginais tous en attente de nouvelles, scotchés à leurs téléphones, scrutant à chaque instant leurs messages sur Facebook. Et puis priant égoïstement comme toutes les autres familles, pour que leur frangin soit vivant ainsi que son amie Marine, restée, à Kathmandu.


Et puis, on avait appris très vite que tout allait bien pour les deux.  On était heureux et tristes à la fois. On était heureux de notre chance. Notre chance de pouvoir les revoir un jour. De pouvoir écrire avec eux d’autres pages de l’histoire de la vie. On avait aussi un peu honte de notre bonheur, et de notre chance, parce que tant d’autres aujourd’hui se retrouvaient orphelins d’un proche. La roulette russe…


Tahar était en train de redescendre vers la vallée. C'était un moment difficile pour lui. Il était d'abord triste pour toutes ces victimes. Mais il devait être également déçu. C'était un sentiment humain. Pour lui, plus que pour moi sans doute, gravir l'Everest représentait énormément.  Un rêve de gosse. Une année entière à s'entraîner comme un dingue pour être prêt. Et en quelques secondes, son rêve s'était évanoui.


Mais très vite, Tahar allait se reprendre. Malgré et malgré le malheur qui en avait touché tant, lui, avait gagné le droit de continuer. Tahar était toujours là….


 


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune