La chronique du Tocard. Mes souvenirs de colos

 La chronique du Tocard. Mes souvenirs de colos


Quand papa disait Non, c'était bon signe, parce qu'on savait que maman finirait par dire Oui. Non pas parce qu'elle était contre l'avis de son mari, c'était juste par automatisme, par pure opposition maritale, pour l’égalité hommes femmes, pour rééquilibrer un peu la donne.  Elle aimait bien se servir de ses enfants pour régler de vieux comptes avec son Mohand, comme le font d'ailleurs tous les couples qui s'aiment. 


Pour nous, c'était tout bénef et on utilisait sans aucune gêne les rancoeurs de ma mère accumulées toutes ces années pour arriver à nos fins. 



Venu le temps des vacances, comme on connaissait déjà sa réponse, on allait demander d’abord au daron l’autorisation pour partir en colonie. C'était bien entendu un Non catégorique. 



Pour mon père, les mots repos, détente, loisirs, ou découverte ne voulaient rien dire : seuls les mots travail, labeur ou sacrifices trouvaient grâce à ses yeux. 

Mon père trouvait débile l'idée de payer pour envoyer ses mômes ailleurs qu'en Algérie où pour lui, il y avait tout ce qu'il fallait pour profiter du break estival à moindre coût. 



Peu importe si la maison jamais terminée du daron n'avait ni eau courante, ni électricité et qu'elle était perchée à 1000m d'altitude, à près de deux heures de route de l'océan, où en juillet-août, nos corps assommés par la chaleur auraient pourtant adoré trouver refuge dans l'eau fraiche des plages de Bejaia. 



Ma daronne finissait toujours par avoir le dernier mot et donnait son accord pour que ses enfants puissent partir en colonie. Le daron déposait les armes, prophétisant une catastrophe une fois sur place. Vous verrez : il avait eu raison d’avoir tenté de s’opposer.  



Avant de dire Oui, ma mère s'était préalablement renseignée sur les « tarots ». Elle avait été très vite rassurée. Effectivement, c'était bon marché.  



C'était un des bons côtés de notre mairie communiste de l'Ile-Saint-Denis (93), qui connaissait l’importance des voyages et qui n'hésitait pas à endetter la ville pour que les enfants de la commune puissent aller changer d'air en toute justice puisque le prix final du voyage était calqué sur ton niveau de pauvreté, le reste étant pris en charge par la municipalité. Avec neuf mômes et un seul parent au turbin qui touchait le SMIC, ma mère payait le minimum syndical et il était grand temps d'en profiter. 





La première fois que je suis parti en colonie, j'avais six ans et on s'en allait en autobus pour un mois à Lisieux dans le Calvados en plein mois d'août.  



Ma mère, stressée à son maximum, m'avait emmené très à l’avance jusqu'au car qui était garé juste devant l'école primaire Paul Langevin, à trois minutes à pied de la cité Maurice Thorez où mes parents avaient posé leur valise en 1968. 



Maman était mignonne tellement elle portait mon bagage sur ses deux épaules, comme si c'était elle qui partait en voyage et moi qui venais lui dire au revoir. Pas d'argent de poche, faut pas déconner on n’était pas des bourgeois, c’était déjà bien qu’on parte en colonie, mais des bonbons et des gâteaux au chocolat qui avaient fini par fondre au bout d'une heure dans l'autocar sans clim.  





Une fois monté dans l'autobus, j’avais vu maman par la fenêtre pleurer, mais elle avait tout de suite baissé la tête pour n’être aperçue de personne à cause de la pudeur qui empêche toute démonstration de tendresse. 



C’était la première fois qu’elle était séparée de son petit Gnoule à elle, qui lui donnait du fil à retordre, mais elle l'aimait au départ et elle l'aimera jusqu'à l'arrivée. 



Une fois arrivé au dortoir, seul dans mon lit, j’avais moi aussi laissé les larmes couler parce que la maman c’est quelque chose de tellement fort que ça s’appelle l'amour éternel. 



Après, avec l’habitude, les activités, les rigolades avec les copains, le manque maternel était moins présent. Et j'allais profiter pleinement du dépaysement total : la cité, à moins de trois heures de route, paraissait alors si loin, comme envolée. 



En rentrant au quartier, j’étais forcément moins triste en général, à l’intérieur, moins énervé, à l’extérieur, plus souriant, et j’avais hâte de repartir en colonie. Maman voyait le bénéfice sur nos vies et elle se battait à chaque fois pour que papa la laisse faire dans ses choix. Elle aurait tout fait pour le bonheur de ses enfants. Lui commençait aussi à se rendre compte du côté enrichissant des départs en groupe. 



Comme mon ancienne mairie faisait dans l’excellence, je partais deux fois par an en colonie, une chose impensable aujourd'hui : d'abord au ski l'hiver, à Abriès, dans les Hautes-Alpes, en plein Queyras, des décors paradisiaques, hébergé comme un bourge dans le chalet municipal Lou Bric Bouchet que la mairie actuelle d’un autre bord politique et au cerveau étriqué, qui n’a surtout pas la mémoire des jours heureux, tente de vendre à tout prix parce que le chalet ne rapporte pas d’argent, parce qu'elle n'a pas compris que rien ne vaut le bonheur des gens et les sourires de leurs enfants. 





Jusqu’à l’âge de mes 10 ans, je suis allé l'été, en Normandie, à Lisieux où j’ai découvert la campagne, avec ses odeurs et ses fleurs, la mer avec son sable et son vent. Après, la mairie proposait la Haute-Vienne qui ressemblait à la Kabylie tellement on s'emmerdait, mais une année, j'avais connu Nadège qui venait d'une autre ville que moi et avec qui j'avais dansé mon premier slow qui avait duré toute la nuit tellement chacun était bien dans les bras de l’autre. C’est à elle que j'ai roulé mes premières pelles. Parfois, je me demande même ce qu’elle est devenue. 





En grandissant, on a eu le choix de sortir de France et ça, c’était vraiment un luxe à connaître. À 13 ans, en Hongrie, chez la famille Sarko, j’ai pédalé autour du lac Balaton, l'un des plus grands d'Europe, un voyage mémorable. L'année d'après, c’était l’Irlande. À Dublin, quasiment tous les jours sous la pluie, placé dans une famille locale pendant un mois pour apprendre l'anglais avec le daron Irish qui se levait pendant la nuit pour aller pisser le zizi à l'air.



Puis la Tchécoslovaquie toujours soviétique, qui a vachement changé depuis que le capitalisme lui a bouffé tout son charme. J’y suis allé plusieurs fois : les plus belles années de ma vie, avec une de mes frangines qui venait aussi. Des fous rires à vouloir être jeune de nouveau, des nanas pour nous tous seuls : la première fois où je me suis fait appeler Patrick Dendoune pour être sûr de pécho.


Vers la fin, quand on avait encore l’âge, on est même allés en Allemagne de l’Est, aux États-Unis, etc.


Un bol d’air ces colonies de vacances. Le reste de l'année, je restais à la cité à tourner en rond, sans but précis, juste par mimétisme, où le béton m’enfermait, où je faisais des conneries qu’on peut qualifier de délinquance juvénile parce que voler et se bagarrer sont punis par la loi.

J'ai parfois pensé pour pas dire souvent que la vie pour certains d'entre nous, c'était une énorme salope qui aime bien appuyer là où ça fait mal. À un certain moment, je détestais tellement la vie que certains pensaient que j’étais en mesure de glisser vers un point de non-retour. Aujourd’hui, ils auraient dit que j’avais les moyens nécessaires pour me radicaliser, mais c’était un mot qui n’existait pas à l’époque. 

Ils avaient tort. Parce que moi le soir, quand ça n’allait pas fort, je pensais à tous mes souvenirs de colos. J’arrivais alors à m’évader dans des endroits où les cris sont moins forts, où la haine est moins présente et où la vie est enfin paisible…


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune