La chronique du Tocard. Nos rêves de pauvres

 La chronique du Tocard. Nos rêves de pauvres


 


Moi, quand j'étais tout petit, aussi innocent qu'on puisse l'être à 6 ans, je rêvais de pas grand-chose, voire de rien du tout. Même pas d'être aussi libre que mes grandes soeurs. Gamin, c'était difficile d'avoir des rêves de riches quand mes parents ont eu toute leur vie des rêves de pauvres.


 


J'ai commencé à rêver grâce à Noël. A 7 balais, j'ai rêvé d'avoir un train électrique, juste parce que Thierry, un copain de la cité en avait eu un. Sa maman était une prolo aussi et elle s'était saignée pour lui en offrir un. 

J'avais pleuré de caprices et ma mère m'avait laissé chialer dans mon coin et j'avais compris qu'aucun véhicule de ce genre ne rentrerait dans le F5 de mes vieux. Beaucoup trop cher pour une famille de neuf enfants.  


A 9 ans, à l'école primaire, en voyant le bonheur sur les visages de mes camarades de classe, j'ai rêvé d'avoir une copine pour moi tout seul. Là encore, j'ai rêvé dans le vent.


Un arabe à l'époque n'avait pratiquement jamais la côte. Ni avec les "Blanches" qui nous snobaient. Ni avec les "nôtres", à cause du complexe mutuel. 


A 12 ans, j'étais champion de tennis. Et j'ai rêvé de grands chelems. Mais, j'ai préféré ne rien dire à mes parents quand le club m'a demandé 16 000 francs pour continuer à avancer.  


Vers 14 ans, j'ai rêvé d'avoir une parole libre parce que j'en pouvais plus de me battre contre l'ingratitude des syllabes et des voyelles qui me faisaient faux bond à leurs guises.Un trouble du langage avec lequel je me battais en solo depuis l'âge de mes cinq ans.  


Et à chaque 31 décembre, je priais Dieu que je détestais alors, pour qu'il m'offre une élocution toute en douceur pour la nouvelle année. Là encore, j'ai rêvé pour du beurre.


A 16 ans, j’ai rêvé que la « police pour tous » me dise « Vous », comme à n’importe quel autre Français et qu’elle ne vienne plus à la cité fouiller nos derches pour voir s’il n’y avait pas un bout d’haschich qui trainait au fond de l’anus. Mais mon rêve s’est transformé en cauchemar quand ils m’ont roué de coups en me prenant pour un autre arabe délinquant. 


Quelques mois avant ma majorité pénale, j'ai rêvé que le juge d'instruction ne m'envoie pas sous les verrous. Malgré mon innocence, il n’a rien voulu entendre à ma défense balbutiante et j'ai fini à Fleury. J’ai rêvé un jour que ma mère ne pleure plus pour moi comme quand elle a versé des larmes en venant me rendre visite en prison. 



A 18 ans et quelques, j'ai rêvé que ma carte d'identité française, ma chemise bien repassée et mon beau pantalon à pince suffiraient à user mes Jean-Marie Weston dans les dance floors. Mais une fois de plus, j'ai rêvé pour de rien. 


A 20 ans, j’ai rêvé que les boites d’intérim donnent une chance à tout le monde mais faute de travail et de pognon, j’ai dû rester tout l’été à tourner en rond à la cité. 


Alors, déprimé, j’ai cessé de rêver. A quoi bon ? La solution de facilité. Et puis, ça dérangeait personne à la cité, bien au contraire, où le fatalisme avait pris des longueurs d'avance sur l'optimisme. Je rentrais dans le moule. 


Un soir d’hiver, un type, un gars de la cité, qui n’avait pas bu que de la grenadine, m’a dit la larme à l’œil : « Tu sais, y a que la mort qui est grave alors n’oublie pas de vivre ta vie ». Vivre ta vie… La sienne s'est arrêtée quelques semaines plus tard quand il nous quittait. Il avait la trentaine. A peine…

Et il avait raison : on a tous 50 000 raisons d’aller mal, de ne plus croire en rien du tout, nombreux sont abimés par la vie, certains ont eu des manques affectifs dans l’enfance qui altèrent leur confiance.  


Alors, je me suis maté dans la glace et j’ai serré les poings très fort. Je pleurais de rage et d’envie. 

Je suis parti voir maman et je lui ai dis: Ton fils a décidé de rêver de nouveau. Elle a pas trop compris où je voulais en venir et elle m’a dit:Trouve toi déjà un travail et une nana si possible et tu seras peut-être heureux. Mon Everest à moi ce n'était pas celui-là.


Mon Everest, c’était de vivre des rêves de riches. Ces rêves qu’on m’a toujours refusés. Et ceux qu’on a refusés à mes parents. Alors, j’ai rêvé de voyages et je suis parti pédaler autour du monde.


J’ai rêvé de soleil, de plage et de bombasses et je suis allé en Australie.


J’ai rêvé de pouvoir raconter nos histoires et je suis devenu journaliste et « écrivain » et j’ai publié trois livres. 


J’ai rêvé d’exploit et je suis devenu le premier Maghrébin sur l’Everest. Ca s’est joué à pas grand chose. J'aurais pu finir grand délinquant. Avec le recul et la maturité avec, j'ai compris qu'en vrai, le bonheur n’est jamais vraiment loin… Suffit juste parfois de regarder ailleurs …


 


Nadir Dendoune


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Nadir Dendoune