Averroès « L’islam et la raison »

 Averroès « L’islam et la raison »


Célèbre commentateur d’Aristote, il a bousculé les tenants d’un Islam dogmatique et intolérant qui l’ont considéré comme hérétique pour avoir voulu concilier raison et foi, philosophie et religion. Philosophe, théologien, juriste astronome et médecin, il a profondément influencé, en Occident, les grands courants philosophiques dits “averroïstes” et ouvert sur le siècle des Lumières.


 


C’est à Cordoue que naît, en 1126, dans une famille de juristes, Abou’l Walid Mohammad ibn Ahmad ibn Roshd, connu en Occident sous le nom d’Averroès. Il est le petit-fils du grand cadi (juge de paix) de Cordoue. L’époque est troublée par le déclin des Almoravides. De formation classique, il étudie avec son père la jurisprudence musulmane. Après la physique, l’astronomie et les mathématiques, il apprend la philosophie et le droit sous la direction du philosophe aristotélicien Ibn Bajja et de Abou Jaâfar Haroun, ainsi que la médecine.


Averroès a 23 ans quand Cordoue tombe entre les mains des ­Almohades. Le jeune homme fait allégeance aux nouveaux maîtres. A 25 ans, il se marie et aura deux fils, et peut-être des filles. On ne sait rien de plus de sa vie privée. A 27 ans, il se rend à Marrakech, à la cour ­almohade. Nommé en 1154 secrétaire du gouverneur de Tanger et de Ceuta, il rencontre Ibn Tofayl, célèbre ­médecin et philosophe, alors conseiller du prince héritier Abou Ya’qoub Youssouf. Ce dernier lui demande de résumer l’œuvre d’Aristote de manière péda­gogique. Il compose trois ouvrages : Jawamiî (Les Abrégés), Talkhis (Les Moyens) et Tafsir (Les Grands). Pour lui, rien dans les écrits du philosophe ne contredit le Coran.


 


“Le vrai ne peut contredire le vrai”


Lorsqu’Abou Ya’Qoub Youssef devient calife, Averroès est nommé juge, puis grand cadi. Il s’installe à la cour, à Cordoue. Courtisan et brillant orateur, il a les faveurs du nouvel émir et devient son médecin particulier. Il continue en parallèle son œuvre philosophique et écrit notamment Tahafut al-Tahafut (L’Incohérence de l’incohérence), en réponse à Tahafut al-falasifa (L’Incohérence des philosophes) où al-Ghazali cherche à démontrer les dangers de la philosophie pour la foi et la religion.


Quand le calife quitte Cordoue pour déplacer la capitale à Marrakech, il exige la présence de tous les courtisans, dont son médecin, Averroès. Le philosophe s’y résout à grand-peine. Il a 64 ans quand il rejoint Marrakech. Il y rédige ses grands commentaires de la Métaphysique et de De anima d’Aristote. Pour lui, la philosophie ne contredit pas la loi divine, qui appelle à étudier rationnellement les choses : on doit unir le rationnel (ma’qoul) et le traditionnel (manqul). Averroès s’en explique dans Fasl al-maqal (Discours décisif), qui établit la connexion entre la révélation et la philosophie : “Le vrai ne peut contredire le vrai.”


 


Auteur de plus de 80 ouvrages


Mais l’émir almohade devient peu à peu intolérant et dénonce la pensée grecque. En 1197, Averroès, alors âgé de 71 ans, tombe en disgrâce “pour s’être occupé de la ­sagesse et des sciences des anciens”. Considéré comme ­hérétique, il est banni, exilé à Lucena, près de Cordoue. Un édit du monarque ordonne de brûler ses œuvres, hormis ceux de médecine et d’astronomie. Averroès aura écrit plus de 80 ouvrages. L’année suivante, le calife le rappelle à Marrakech. Moins de trois mois plus tard, le 10 décembre 1198, le penseur s’éteint à Marrakech, à 72 ans. ­Il est d’abord enterré au cimetière de Bab Taghzout, puis sa dépouille est rapatriée à Cordoue.


Celui qui a tant influencé les philosophes de l’Europe occidentale et les courants de pensée de l’“averroïsme” n’a pas eu la postérité méritée dans le monde musulman. Il n’a été redécouvert en Islam qu’au XIXe siècle lors de la Nahda, la “Renaissance arabe”, durant laquelle il inspire les courants rationalistes, réformateurs et émancipateurs. Le cinéaste égyptien Youssef Chahine lui a rendu hommage en retraçant sa vie dans le film Le Destin, primé au Festival de Cannes en 1997. 

Fatema Chahid