Benoît Hamon : « La politique de Macron est d’une grande brutalité »

 Benoît Hamon : « La politique de Macron est d’une grande brutalité »

Benoît Hamon lors du congrès fondateur de son parti Generation.s


L’ex-candidat socialiste à la présidentielle désormais à la tête de Génération.s, ancre son combat contre la politique du Gouvernement. Il élargit la vision des enjeux sociaux et climatiques au niveau européen, et se prépare aux futures échéances électorales, qui se joueront, pourquoi pas, en collaboration avec des membres du PS ou d’Europe Ecologie-Les Verts. 


Cela fait huit mois qu’Emmanuel Macron est le nouveau locataire de l’Elysée. Quel bilan en tirez-vous pour la France et pour la gauche ?


Pour commencer, sortons de ce mensonge selon ­lequel ce pouvoir ne serait ni de droite ni de gauche. Si vous voulez caractériser Macron sur le plan politique, il y a un moyen très simple. Vous prenez dix étudiants en sciences politiques et vous leur faites faire un devoir sous la forme d’un blind test, où ils liraient l’énoncé des choix politiques ou des convictions d’un tel ou d’un tel. Spontanément, 100 % d’entre eux, quelle que soit leur sensibilité politique, qualifieraient ce que dit Emmanuel Macron comme appartenant à la tradition politique et à la philosophie de droite. C’est une évidence. Qui n’a pas entendu Christian ­Estrosi ou Nicolas Sarkozy affirmer “Macron fait ce que nous aurions aimé faire mais qu’on n’a pas fait” ? Pas un seul homme de gauche pourrait tenir ces propos.


 


Quel est votre positionnement sur les politiques ­sociales actuelles ?


Ce pouvoir restreint les principes sacrés de la République quand il introduit l’état d’urgence dans le droit commun ou remet en cause le droit à l’hébergement d’urgence pour certains migrants. Il est doux avec les plus riches : d’ici fin 2019, 5 % de ménages les plus aisés capteront 42 % des gains liés aux réformes, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Et il est dur avec les plus faibles, en supprimant les contrats aidés, en baissant les APL (aide personnalisée au logement, ndlr), en augmentant le contrôle des chômeurs et en facilitant le licenciement des salariés. Ce gouvernement fait tomber des mécanismes de solidarité parce qu’il considère que ce sont des obstacles à la création d’activités, et donc à la richesse de demain. Ce sont des choix politiques que d’autres on fait avant lui, comme Gerhard Schröder et Tony Blair (en Allemagne et en Grande-Bretagne, ndlr). Le prix de cette politique sera l’augmentation de la pauvreté et le creusement des inégalités et du désespoir qui les accompagne.


 


Vous soutenez donc que la politique du Gouvernement est dure avec les plus faibles. Comment l’illustreriez-vous ?


Oui, cette politique est d’une grande brutalité sur le terrain. Je reprends les mots de l’historien Patrick Weil, qui déclarait récemment à propos de la politique migratoire du Président : “Monsieur Macron est doucereux ver­balement, et sur le terrain, c’est la dague.” Contre les faibles, pas les forts… Je vais prendre un exemple parlant. Emmanuel Macron a fait un très beau discours, m’a-t-on dit, à Saint-Etienne-du-Rouvray. Cette ville pauvre de Seine-Maritime, où a été assassiné le père Hamel, dans son église, en juillet 2016. Lors d’un hommage, le Président a salué la résilience de la population qui ne s’est pas livrée à la vengeance, au ressentiment, et qui n’a pas recherché de boucs émissaires. Et il attribuait cette belle résilience à la densité et à la qualité du travail associatif stéphanais. Toute chose vraie par ailleurs. Je me suis rendu plus tard à Saint-Etienne-du-Rouvray, à une autre occasion, au centre social associatif de la ville. Là, il m’a été dit que, quelques mois après ce discours, la préfète décidait, en application des politiques du gouvernement, de supprimer quatre des dix emplois de ce centre, situé dans une ville au fort taux de pauvreté. Alors, Emmanuel Macron dit : “Vive Saint-Etienne-du-Rouvray !”, exalte la qualité du travail bénévole et assure la reconnaissance de l’Etat. De l’autre main, à travers l’action d’une préfète qui met en œuvre une comptabilité absurde, il fracasse le lien social et nous prépare un avenir dangereux.


 


Que répondez-vous à ceux qui disent “Macron, c’est le sommet climat, c’est #MakeOurPlanetGreat­Again” ?


Trois hashtags, même avec des milliers de retweets dans le monde, ça ne fait pas une politique climat. Si l’on veut être crédible, il faut, pour commencer, organiser la conversion à l’écologie de toute l’économie européenne, et ne pas s’en remettre aux seules initiatives privées pour y parvenir. Certes, cela ne peut pas se faire sans les entreprises. Mais elles ne peuvent pas se substituer à des Etats défaillants. En matière de climat, ­Emmanuel Macron n’est pas crédible. C’est tellement facile de paraître vertueux en se comparant à Trump, Erdogan, Poutine, Xi Jinping… A côté d’eux, n’importe qui a forcément l’air plus démocrate et plus écolo. L’étoile de Macron ne brille à l’international que parce que celles des autres sont bien ternes, voire inquiétantes.


 


Et concernant les chiffres du chômage qu’on dit “plutôt en recul”…


Sur ce sujet, je pense qu’il peut y avoir des politiques libérales qui produisent des baisses du chômage, comme il y en a eu en Allemagne. Mais par quoi se ­traduisent-elles ? Par une augmentation incroyable de la pauvreté. La condition sociale des gens ne change pas. Ils travaillent mais sont toujours pauvres. En ­revanche, ils sont sortis des statistiques du chômage. C’est ce qu’a fait le gouvernement Merkel avec les mini-jobs. Ce qu’on ne dit pas de l’Allemagne, c’est qu’elle a un taux de chômage entre 5 et 6 % et un taux de pauvreté de 17 %. En France, on a un taux de pauvreté de 14 % et de 10 % pour le chômage. Le vrai enjeu, c’est : est-ce qu’on échange la pauvreté contre le chômage ?


 


En quoi les politiques menées par le gouvernement Hollande ont permis ou favorisé les politiques de Macron ?


Elles sont de la même nature, participent de cette ­vision néolibérale, notamment avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) (un avantage fiscal pour les entreprises employant des salariés, équivalant à une baisse de leurs cotisations sociales, ndlr) et la loi Travail. Deux points sur lesquels je me suis opposé et qui m’ont décidé à quitter le gouvernement et à signer un projet de motion de censure. Le mandat Hollande marque la fin d’une forme de compromis au sein de la gauche française, qui bascule alors clairement du côté social-libéral, en tout cas sur les questions économiques. Elle renonce finalement à vouloir négocier le compromis avec le capital, lequel permettait, sous la forme d’une réduction du temps de travail ou d’une augmentation des salaires, une amélioration de la vie des gens. Un renoncement conduisant à croire que l’on doit passer par moins de service public, des licenciements facilités, des indemnités ou des salaires baissés. Le jour où la gauche conçoit qu’un pays peut s’enrichir considérablement en acceptant l’accroissement des inégalités, elle cesse tout bêtement d’être la gauche.


 


Droit du travail, immigration, impôt sur la fortune… On a l’impression que la gauche n’arrive plus à ­mobiliser. Comment l’expliquez-vous ?


Culturellement, tous les émetteurs — que ce soient les médias “mainstream” ou les principaux partis politiques — nous répètent les mêmes discours depuis des années : il y a trop de fonctionnaires, la Sécurité sociale et les travailleurs coûtent trop cher. Le discours des­ ­libéraux a pris le pas sur toute forme de vision raisonnable de notre avenir. Car son objectif est celui de la seule croissance de la richesse matérielle, quel que soit son coût social ou environnemental. Je trouve une vertu à Emmanuel Macron : il nous permet de réinstaller le clivage droite-gauche à sa juste place. Et de mettre un terme à une forme d’imposture : croire que le clivage entre la droite et la gauche était entre le Parti socialiste et Les Républicains, alors qu’il se ­situait en fait au cœur du PS.


 


Entre la France insoumise, le PS et Europe Ecologie-Les Verts (EELV), où vous situez-vous sur l’échiquier ?


Nous réfléchissons davantage en termes de dynamique qu’en termes d’espace. Mon problème n’est pas de savoir où est le PS et où est Mélenchon, et de me placer entre les deux. Aujourd’hui, le Parti socialiste est réduit à une forme résiduelle, similaire à celle de ses homologues en Italie ou en Grèce. Ce qui ne veut pas dire que le socialisme va s’éteindre. Il vivra à travers la philosophie qu’il porte autour des questions de l’égalité, de la régulation, de la justice sociale. Mais cela se fera sous des formes renouvelées, que nous allons incarner à Génération.s, en y intégrant la culture de l’écologie politique, une culture démocratique héritée de la deuxième gauche. Bref, on va repenser la République et la coopération en Europe.



En juillet, vous avez créé votre mouvement, le M1717, rebaptisé Génération.s et structuré en parti le 2 décembre dernier. Quelle est la suite ?


Notre premier rendez-vous sera les élections européennes (en mai 2019, ndlr). Nous dirons oui à ­l’Europe, oui à une alliance des peuples et non à l’austérité. Nous nous opposerons à deux impasses. D’une part, celle du conservatisme européen libéral incarné par Emmanuel Macron et l’alliance franco-allemande, qui finalement ne mène nulle part, si ce n’est à la rigueur budgétaire, à l’austérité et aux réformes libérales. D’autre part, au projet qui consiste à dire qu’on ne peut plus faire de ­politique en Europe parce que cette dernière nous l’interdirait, et qu’il faut revenir aux frontières nationales. Emmanuel Macron plus ­Angela Merkel, ça ne sauve pas l’Europe. Et la sortie de l’Union européenne ne sauvera pas les Français non plus. Il n’y a qu’une solution européenne à la crise du projet européen.


 


Vous avez cette volonté d’incarner ce troisième bloc en Europe. Vous allez sûrement nouer des alliances…


Avec Varoufakis (Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances grec, ndlr) et bien d’autres ! En tout cas, je l’espère, et on y travaille. Nous réfléchissons ensemble à un projet qui soit applicable au lendemain des européennes. En commençant par une proposition concrète : investir 1 000 milliards d’euros en trois ans pour financer des initiatives privées et publiques de transitions écologique et énergétique. Où trouver cet argent ? Dans la politique de la Banque centrale : elle injecte chaque mois dans l’économie européenne entre 40 à 80 milliards d’euros, en vue de financer les banques, qui sont censées prêter aux ménages et aux entreprises, dans le but de relancer l’économie. Honnêtement, ça fait plus de 2 000 milliards d’euros injectés pour un résultat ­assez misérable. Nous proposons donc que la moitié soit dédiée à la transition écologique.


 


La transition écologique figure donc parmi vos priorités…


Ces élections européennes seront décisives pour le climat. Avec Emmanuel Macron et Angela Merkel, on restera sur une politique des petits pas, avec des pays plus ou moins volontaires et des gouvernements prisonniers d’alliances avec des grands lobbies privés qui les empêchent d’avancer. Avec des souverainistes, qui peuvent croire en la conversion écologique de l’économie, mais qui défendent une sortie de l’Europe, on s’impose de facto un calendrier de sortie long, coûteux, qui épuise les marges de manœuvre pour financer la transition écologique. Pour paraphraser Charles Péguy, nous ne ferons pas de miracles : “Nous laissons les ­miracles aux praticiens des anciennes et des nouvelles Eglises.” (De la raison, 1901, ndlr). Nous voulons construire une Europe libérée des servitudes de la dette et tournée vers la préparation de l’avenir.


 


Et en France, avec qui allez-vous faire alliance ? Est-ce ce que sera un tandem Génération.s-EELV, avec Yannick Jadot ou Cécile Duflot ?


Je souhaite que des écologistes, dans leur diversité, ainsi que des communistes, des socialistes s’ils le souhaitent, viennent construire cette dynamique. Où sont les écologistes purs et durs ? Avec Hulot ? Avec ­Duflot ? Avec Mamère ? Avec Jadot ? Avec Cormand ? Ils sont partout. Il faut prendre la question écologique au sérieux. Ces partis ne sortent pas forcément vainqueurs des élections, mais ils ont remporté une première bataille essentielle : la pollinisation de leurs idées. L’heure de la mise en pratique de ces dernières en faveur d’une société plus harmonieuse et bienveillante approche. Moi, je souhaite que ceux qui ont été à l’avant-garde de cette prise de conscience globale, les écologistes, soient au cœur de la mise en œuvre de ce nouveau modèle de développement. 


MAGAZINE FEVRIER 2017


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