Municipales 2020 : faut-il interdire les listes communautaristes ?

 Municipales 2020 : faut-il interdire les listes communautaristes ?

Les listes communautaristes suscitent une nouvelle fois la polémique. FAROUK BATICHE / AFP


À six mois des municipales, la question de l’interdiction des listes communautaristes, musulmanes en tête, a été soulevée par au moins deux personnalités politiques. Mais, les chercheurs appellent à la prudence face à un terme relevant selon certains du « microphénomène ».


Le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand (ex-LR) a mis la question sur la table mi-septembre, demandant au gouvernement de prendre les dispositions pour interdire « qu’il y ait aux prochaines élections municipales des “‘listes communautaristes” ». « L’islam politique est en train de vouloir s’implanter », a-t-il averti, alors que les sujets migratoires agitent la classe politique, avec un débat à l’Assemblée nationale lundi. La porte-parole LREM Aurore Bergé s’est elle aussi dite récemment « très favorable à l’idée qu’on les interdise. Ce sont des listes qui sont dangereuses pour la République ».


À quelles listes les deux responsables font-ils allusion ? Contacté par l’AFP, Xavier Bertrand cite notamment l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) qui selon lui « se revendique anti-impérialiste, antisioniste, anticolonialiste ».


Créée en 2012, l’UDMF revendique 900 adhérents. Elle a recueilli moins de 29 000 voix aux européennes, avec des pics dans certaines communes : 7,43 % à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), ou 6,77 % à Mantes-la-Jolie (Yvelines). À Poissy (Yvelines), un bureau avait recueilli 29,81 % des voix. Mais, seulement 1,57 % sur toute la commune.


Pour les municipales de 2020, l’UDMF a « une cinquantaine de listes en préparation », assure son président et fondateur Nagib Azergui, qui réfute vigoureusement les « amalgames sournois » avec le communautarisme. Le parti se présente sur son site comme « non confessionnel, laïc et profondément républicain ». Mais « le musulman est un épouvantail qu’on ressort à l’approche de chaque élection », soupire-t-il.


Car le terrain sémantique est miné. « Personne ne se revendique comme ayant une “liste communautariste”, le terme n’est utilisé que pour discréditer d’autres personnes », observe le sociologue Fabrice Dhume-Sonzogni, auteur de « Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français ».


 


Un microphénomène


Autre parti, issu lui de la communauté franco-turque, le Parti Égalité Justice (PEJ) donne « rendez-vous en 2020 pour les municipales ! » sur son site internet. Le parti, créé en 2015, réclame « un moratoire sur la laïcité » et combat « l’enseignement de la théorie du genre », avait plafonné à 10 000 voix aux législatives de 2017.


Pour Vincent Tiberj, professeur à Sciences-Po Bordeaux, il ne faut pas surestimer un « microphénomène ». « Depuis les européennes de 2004, de telles listes essayent d’exister. Les résultats sont très faibles, quand elles réussissent à avoir des candidats et se présenter », note-t-il, en rappelant que l’UDMF a fait 0,13 % des voix aux européennes alors qu’il y aurait environ 6 % de musulmans en France selon les estimations. On est loin du scénario de « Soumission », le roman de 2015 où Michel Houellebecq imaginait l’élection d’un président musulman en France.


Pour M. Tiberj, « la notion de vote musulman est à relativiser ». Ils « votent surtout à gauche » car pour eux « l’agenda religieux n’est pas premier », affirme-t-il. Il est d’ailleurs difficile, selon lui, d’estimer le nombre total de listes sur les rangs aux municipales.


En mai, avant les européennes, la validation par l’Intérieur de la liste de l’UDMF avait été critiquée par plusieurs figures LR. Le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti s’était inquiété de « la montée du communautarisme islamiste qui gangrène notre société », et le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin (ex-LR) avait estimé qu’il fallait « que la République se défende » face à ces listes.


Le droit permet de dissoudre un groupe incitant à la discrimination raciale. Mais, manifester une appartenance à une religion « n’est pas un élément de nature à priver une personne de la possibilité d’être candidate », qui se rattache « au droit de suffrage, à la liberté d’expression », analyse Romain Rambaud, professeur de droit public à l’université de Grenoble.


Reste qu’en cette période de pré-municipales, l’immigration est sur le devant de la scène, avec récemment un violent discours anti-musulmans du polémiste Eric Zemmour et un ton à peine moi menaçant de la part du président Macron, qui a décidé d’aborder la rentrée avec la thématique migratoire.

Rached Cherif