Nicolas Lebourg : « La réorganisation autour de l’islam est fondamentale »

 Nicolas Lebourg : « La réorganisation autour de l’islam est fondamentale »

Archives personnelles de Nicolas Lebourg


Pour cet historien, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean-Jaurès, c’est le contexte géopolitique qui nourrit la dynamique actuelle de l’extrême droite à l’échelle nationale et européenne.


L’extrême droite est aujourd’hui une force politique majeure dans plusieurs pays européens. S’agit-il d’une dynamique collective ou faut-il observer la ­situation pays par pays ?


Un peu les deux. Dans son histoire, depuis deux siècles, l’extrême droite s’est toujours renouvelée et transformée à la faveur de changements géopolitiques. Le 11 septembre 2001 en est le dernier épisode en date. Après les attentats survenus ce jour-là, l’extrême droite néerlandaise a, la première, opéré et assumé une rupture avec les héritages historiques du nazisme et du fascisme et modifié ses thématiques de référence. Prenant ses distances avec son image dure et autoritaire, elle s’est positionnée comme une force qui défendait les libertés conquises en Europe, y compris celles des femmes ou des homosexuels, par exemple, contre un nouvel ennemi commun : le terrorisme islamiste, les musulmans. Cette mutation s’est révélée être un formidable logiciel électoral. Ce que nous avons appelé, avec Jean-Yves Camus, “la mutation néo-populiste de l’extrême droite” s’est adaptée à chaque société. Aujourd’hui, seul le parti Aube dorée, en Grèce, demeure sur des schémas un peu violents, à l’ancienne.


 


Cette adaptation au contexte mondial est-elle l’unique ­levier du renouveau de l’extrême droite ?


La réorganisation autour de la question de l’Islam est fondamentale. Mais il y a aussi, c’est vrai, une approche nouvelle de la question du pouvoir. L’extrême droite n’a plus une offre d’Etat spécifique, mais une offre de gouvernement. On l’a vu avec Marine Le Pen, qui s’est avancée dans les élections en faisant savoir qu’elle était prête à rendre les clés au bout de cinq ans. C’est désormais la manière de gouverner qui est présentée comme une rupture. L’extrême droite s’est par ailleurs approprié le thème de l’Europe post-démocratique, faisant par exemple des propositions de référendums locaux. Cela permet d’édulcorer un peu l’aspect autoritaire de la mouvance, qui fait peur à l’électorat, tout en faisant mine d’apporter des réponses aux véritables problèmes de démocratie qui se posent à l’échelle européenne et que personne ne peut nier.


 


L’extrême droite s’aventure aussi sur des terrains inattendus comme celui du “combat culturel”. On a ainsi vu l’ancienne députée FN Marion Maréchal-Le Pen convoquer le philosophe italien marxiste ­Antonio Gramsci…


Ce n’est pas nouveau. Chez les nationalistes européens des années 1950, il y avait déjà cette idée répandue que la gauche avait vaincu culturellement, et ils se sont mis à citer Gramsci dès les années 1960. Mais sans avoir tout lu ni tout compris. Car, au-delà du combat culturel, le philosophe défendait la nécessité de constituer, autour d’un projet de conquête politique, un “bloc historique” et social, impliquant des compromis entre plusieurs couches de la population. Or, si fédérer les colères contre les musulmans ou d’autres cibles désignées n’est pas très difficile, avoir un projet politique qui rassemble, c’est plus compliqué…


 


Le FN a également investi la question sociale…


Sur cette question, Marine Le Pen et ses amis ont un problème de cadrage et de placement du curseur. Leur difficulté majeure est qu’à trop s’emparer des questions sociales, ils perdent leur électorat de droite. Lors des élections départementales de 2015, Nicolas Sarkozy n’a cessé de marteler que le FN avait le même programme économique que Jean-Luc Mélenchon. Résultat : une partie des électeurs d’extrême droite s’est évaporée. A contrario, aux élections européennes de 2014, un an avant, Jean-François Copé, en choisissant de ­mener campagne autour de l’Islam, avait permis au Front national d’arriver en tête…


 


Justement, quelle responsabilité porte la droite ­traditionnelle dans la dynamique actuelle de l’extrême droite ?


Il y a tout d’abord un contexte général à l’échelle de l’Occident depuis quarante ans, qui se caractérise par moins d’Etat social et plus d’Etat libéral au plan économique et répressif, avec un recul des valeurs humanistes et le développement d’une ethnicisation de la question sociale. Dans ce contexte, toutes les études le montrent : à chaque fois que la droite taille des croupières à l’extrême droite, ça bénéficie à cette dernière. La vieille formule de Jean-Marie Le Pen disant que les électeurs préfèrent l’original à la copie est vérifiée : une partie des électeurs des classes intermédiaires se disent que si la droite et l’extrême droite font le même constat, alors autant voter pour la seconde.


 


On voit apparaître une nouvelle génération de ­militants : d’une part les membres de Génération identitaire (lire page suivante), très actifs dans le champ de la communication, mais aussi des ultras prêts à passer à l’action violente. Quels liens existent entre ces deux espaces ?


Chez les identitaires, il y a l’idée très claire qu’il faut rompre avec l’image traditionnelle de l’extrême droite. Donc, ils montrent des garçons et des filles (dans les années 1960, il n’y avait quasiment aucune femme dans les groupes nationalistes), habillés “normalement”, avec leurs doudounes bleues, bien coiffés, agissant à visage découvert, etc. Le milieu radical est composé de gens qui comprennent cette stratégie. Mais certains transferts demeurent compliqués : il y a quelques années, le militant qui déposait les demandes de manifestations en préfecture pour les identitaires toulousains, Victor Lenta, s’est ensuite retrouvé à la tête d’unités de combat dans le Donbass, en Ukraine… Les actions symboliques à la Greenpeace, ce n’était pas suffisant pour lui ! En ce qui concerne les activistes violents, le thème de la guerre raciale, très présent dans ces milieux au cours des années 1990, a fini par reculer, tout simplement parce que cette guerre ne ­venait pas. Mais clairement, en France, depuis les attentats de 2015, c’est en train de revenir de manière très virulente. Les multiples crises politiques et la crise géopolitique au Proche et Moyen-Orient, dont personne ne sait comment on va sortir, leur fournissent un contexte extraordinaire.


 


Voir aussi : 


Quand l'ultradroite rêve de guerre à l'Islam


Les propres sur eux de la fachosphère


Pourquoi la fachosphère s'en prend à Médine, Belattar ou Diallo ?


Au Cœur de la fachosphère

Emmanuel Rionde