Pratiques Policières : Un observatoire civil tire le signal d’alarme

 Pratiques Policières : Un observatoire civil tire le signal d’alarme

Les membres de l’OPP de Toulouse, Daniel Welzer-Lang, Marie Toustou, Pascal Gassiot et Benjamin Francos, lors de la présentation publique de leur rapport le 17 avril. crédit photo : Alain Pitton / Nur Photo / AFP

Un observatoire des pratiques policières (OPP) a été mis en place à Toulouse en 2017. Ses membres documentent la façon dont la police interagit avec les manifestants. Leur constat, établi sur des faits précis et étayés, est inquiétant : la France dérive doucement vers une “démocratie autoritaire”

Trois mois avec sursis ont été requis à l’encontre du premier policier jugé pour avoir jeté un pavé sur les manifestants lors de la mobilisation des “gilets jaunes” le 1er mai. Cela suffira-t-il à enrayer la spirale des violences policières ? Rien n’est moins sûr…

Quand, le 17 avril dernier, les membres de l’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP de Toulouse) ont présenté leur rapport intitulé “Un dispositif de maintien de l’ordre disproportionné et dangereux pour les libertés publiques”, ce devait être une fin de cycle : ce document de 138 pages, nourri des constats réalisés lors de 50 manifestations par 24 observateurs (ainsi qu’ils se désignent), 7 femmes et 17 hommes, était censé clôturer un travail méthodique et bénévole de deux ans. Mais “très vite, on s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser tomber”, résume aujourd’hui Pascal Gassiot, de la fondation Copernic, l’une des trois organisations, avec la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Syndicat des avocats de France (SAF), qui portent l’Observatoire.

L’OPP de Toulouse a donc continué, jusqu’à ce jour, à se rendre dans les manifestations, notamment celles des “gilets jaunes” le samedi, déployant souvent deux groupes distincts dans les cortèges. “L’idée, c’est de retranscrire de manière objective ce qui s’y produit, expliquait un des observateurs en début d’année. On regarde quels types de dispositifs, équipements et comportements sont adoptés par la police et on observe comment les professionnels du maintien de l’ordre se situent dans les interactions avec les manifestants.

Les membres de l’OPP de Toulouse, Daniel Welzer-Lang, Marie Toustou, Pascal Gassiot et Benjamin Francos, lors de la présentation publique de leur rapport le 17 avril.
Les membres
de l’OPP de Toulouse, Daniel Welzer-Lang,
Marie Toustou, Pascal Gassiot
et Benjamin Francos, lors
de la présentation publique de leur rapport le 17 avril.

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Pas une officine anti-flics

Tous les faits et événements sont consignés avec précision : heure, lieu, contexte, nature des intervenants, etc. Des photos et des vidéos sont prises. Le soir, se tient une réunion bilan avec mise en commun des observations. Le dispositif s’appuie sur un protocole méthodologique mis en place par Daniel Welzer-Lang, sociologue chercheur au CNRS. Bref, l’OPP toulousain, qui déclare sa présence dans les cortèges en préfecture et dont les membres sont affublés d’une chasuble jaune et bleu, n’est pas une officine anti-flics. “On a choisi délibérément de parler de pratiques policières et non pas de violences policières”, précise Jean-François Mignard, de la LDH. Et dans leur rapport du mois d’avril, les membres de l’Observatoire souhaitent que leurs “analyses finales” puissent “être reprises par ­l’ensemble des personnes qui se réclament de valeurs ­démocratiques. Policiers et gendarmes compris”.

Une “reprise” par le ministère de l’Intérieur paraît hautement improbable, tant ces “analyses finales” de l’OPP questionnent durement le maintien de l’ordre “à la française” : “Depuis la loi Travail de 2016, la police a franchi un seuil dans la violence. Les policiers ne sont pas seulement violents, ils sont brutaux (…). C’est la brutalité de ceux et celles qui veulent revenir sur le droit de manifester. C’est la brutalité d’un pouvoir qui veut imposer sa politique par la matraque et la grenade (…)”, écrivent-ils en conclusion de leur rapport basé sur “1 800 heures de présence opérationnelle en manifestations”, plus de 4 600 photos et 50 heures de vidéo. L’OPP dénonce la “stratégie de la peur” mise en œuvre place Beauvau.

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Des ruses pour se dédouaner

Huit mois plus tard, sur le fond, rien n’a changé. Un nouveau rapport devrait mettre l’accent sur au moins quatre éléments. Tout d’abord, le ­recours massif et systématique aux grenades lacrymogènes et ce, même quand aucune menace n’existe pour les policiers. “Cela n’obéit souvent à aucune nécessité logique de maintien de l’ordre”, s’étonne Pascal Gassiot. Ensuite, le fait que le maintien de l’ordre change selon le commandement opérationnel. “Cela pose la question de la chaîne de commandement hiérarchique : qui décide, et à quel moment, de la façon dont les forces de l’ordre interviennent ?” Troisième point, l’impunité sinon l’immunité policière. “Elle repose sur un problème de fond, regrette l’observateur : une grande partie des policiers et gendarmes intervenant dans les manifs ne portent pas leur RIO (pour “référentiel des identités et de l’organisation”, le numéro de matricule à 7 chiffres que doivent légalement porter tous les agents placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, ndlr) et beaucoup sont cagoulés.” L’une des “ruses” de l’institution policière, permettant à sa hiérarchie de se dire “incapable” d’identifier les auteurs de violences dans ses rangs, comme le montre une récente enquête de Mediapart*.

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Des observateurs malmenés

Dernier point sur lequel le prochain rapport de l’Observatoire des pratiques policières (OPP) devrait insister, celui du ciblage effectué par la police : journalistes empêchés de travailler, street-médics – ces volontaires qui fournissent assistance médicale et premiers secours lors des manifestations – se faisant confisquer leur matériel de soin, et… observateurs malmenés. “Tout ce qui documente, relate, observe et soigne est clairement dans le viseur”, souligne Pascal Gassiot. Il parle en connaissance de cause : le 7 septembre dernier, lors de l’acte 43 des “gilets jaunes”, visé et violemment poussé à terre par un policier, il a été transféré aux urgences. Bilan : deux côtes fracturées et des blessures au visage. Trois semaines plus tard, les forces de l’ordre ont de nouveau bousculé, violenté et insulté des observateurs de l’OPP dans les rues de Toulouse. En ­février, un autre d’entre eux avait reçu un palet de grenade en pleine tête. Quant aux insultes policières, les membres de l’OPP ne les comptent plus : “Connards d’avocats”, “lâches”, “fils de pute”, “éboueurs”, “charognards”, “casse-couilles” (sic)…

Le 25 octobre dernier, les avocats de l’Observatoire des Pratiques Policières (OPP) ont déposé plainte auprès du procureur du tribunal de grande instance de Toulouse, pour “violence en réunion et avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique et injures publiques” suite aux événements du 28 septembre.

En attendant des nouvelles de cette plainte et des deux autres déposées précédemment, des observateurs de Toulouse, Nantes, Montpellier, Avignon, Perpignan et d’autres villes se sont retrouvés pour mettre leurs expériences “au pot commun”, se félicite Pascal Gassiot, qui prévient : “Je pense que ces observatoires sont appelés à durer. Parce que, au regard de ce que nous découvrons depuis trois ans, l’évolution est inquiétante. Et le terme de démocratie autoritaire résume assez bien ce que nous pouvons ressentir.”

Dossier du mensuel Le Courrier de l’Atlas :

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Emmanuel Rionde