Biométrie, vers un monde à la Orwell ?

 Biométrie, vers un monde à la Orwell ?

crédit photo : Fred Dufour / AFP


Et si sans le savoir, nous étions déjà dans la nouvelle ère du monde de 1984 d'Orwell ? Publié il y a 70 ans, le livre évoquait un monde où "Big Brother" surveille vos moindres faits et gestes. Avec l'évolution de la technologie, c'est dorénavant la biométrie qui permet de recenser un certain nombre d'informations sans que l'on puisse agir. Le média spécialisé sur la sécurité sur Internet, Comparitech a mené une enquête sur 50 pays et l'utilisation qui est faite de nos données biométriques. Les résultats sont édifiants tant la maitrise de nos données biométriques est de plus en plus restreinte et qu'elles peuvent avoir une incidence sur notre liberté de circuler, de se faire soigner ou d'évoluer en société.


Paul Bischoff, journaliste du média Comparitech, spécialisé dans la sécurité sur Internet a accepté de répondre à nos questions sur le sujet 



Où pouvons-nous trouver de la biométrie ? Uniquement dans les documents d’identité ?


Les gouvernements délivrent souvent des cartes d'identité, des visas et des passeports contenant des données biométriques, par exemple les empreintes digitales. Cependant, celles-ci sont stockées dans des bases de données sur des serveurs qui sont connectés à Internet. Les entreprises privées peuvent également stocker des données biométriques sur leurs propres serveurs. La biométrie peut être utilisée n'importe où pour vérifier l'identité d'une personne. Si le gouvernement collecte vos données biométriques, il est fort probable qu'elles soient partagées avec d'autres agences gouvernementales que ce soit les forces de l'ordre ou du renseignement, les autorités fiscales mais aussi d'autres ministères. Les entreprises privées peuvent également disposer de leurs propres bases de données biométriques, auxquelles les autorités répressives peuvent avoir accès en fonction de la loi du pays en cours.


 


Peut-on s'opposer à la transmission de nos données biométriques?


Dans de nombreux pays, il n’existe aucun moyen de se retirer de la collecte de données biométriques ou d’empêcher le détenteur des données de la partager.


 


Vous avez comparé 50 pays différents. Qu'avez-vous appris de l'utilisation biométrique dans le monde?


Aucun pays n'est parfait, mais les pays autoritaires ont tendance à recourir à une collecte de données biométriques plus invasive et à moins de protection pour que le citoyen dispose de ces données. A titre d’exemple, le comportement du premier du classement, la Chine peut représenter un danger pour sa population. Il suffit de regarder le Xinjiang où ses données servent à traquer et à contenir la minorité musulmane Ouighour. Ces données associées aux technologies de surveillance sont utilisées pour restreindre la liberté de circulation et l'accès aux services publics.


 


Quels sont les résultats du classement des pays en matière d'utilisation de la biométrie ?


Nous avons cherché dans notre article à comprendre comment, à quel usage et où étaient stockées les données biométriques des citoyens. Il en ressort que la Chine a le score le plus élevé dans la pire utilisation des données biométriques suivi de la Malaisie, du Pakistan, des Etats-Unis et d’autres pays asiatiques pour l’essentiel (Inde, Indonésie, Philippines, Taiwan). Les données biométriques sont même en train d’être étendue à l’ADN dans le cas de la Chine. Les États-Unis obtiennent des résultats médiocres, car c’est là que sont créées la plupart des technologies de données biométriques. Pour ce qui concerne les pays qui ont une bonne utilisation des données biométriques, on retrouve des pays européens comme l’Irlande, le Portugal, Chypre, la Grande-Bretagne ou la Roumanie. Ces pays se classent bien car ils se limitent à la reconnaissance faciale et sont prudents sur le stockage. Ils appliquent également des lois très strictes qui empêchent le partage de données. Il est à souligner qu’à compter de 2020, un système d’entrée/sortie va être implanté dans tous les pays de la zone Schengen. Cela va ouvrir une base de données partagée par 28 pays, où chaque pays va pouvoir y avoir accès. L’Union Européenne est en train de finir les tests IborderCTrl (Système de contrôle portable intelligent) dans 3 pays (Grèce, Hongrie et Lettonie). Il s’agit d’un test de détecteur de mensonges qui détectent les micro-gestes des voyageurs à la frontière.


 


Comment la France utilise la biométrie?


La France est dans la moyenne des pays européens sur la question des données biométriques. Cependant, en 2016, la France a annoncé son intention de créer une base de données centralisée, Alicem, qui comprendra des données biométriques de tous les passeports et identifiants. Le système est actuellement en cours de déploiement mais a été modifié pour utiliser la technologie de reconnaissance faciale. L'outil donnera aux citoyens l'accès à une vaste gamme de services en ligne, comme l’assurance maladie, l’immatriculation des véhicules ou les cartes d’identité. Toutefois, pour y avoir accès, une identification faciale sera requise. 


 


Quel danger courrons-nous à ne pas contrôler la manière d’utiliser la biométrie ? 


Certains pays se préparent à nous construire un monde tiré de 1984 d’Orwell. Il nous revient de Chine des récits édifiants sur ce qui peut arriver si la collecte de données biométriques n’est pas contrôlée. Entre de mauvaises mains, elle peut être utilisée pour restreindre la liberté de mouvement, de réunion et d'accès aux biens et services.


 


Pour lire l'étude de Comparitech, c'est ici


 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.