Kheireddine Lardjam : « Je sens le retour d’une forme de postcolonialisme »

 Kheireddine Lardjam : « Je sens le retour d’une forme de postcolonialisme »


Ce metteur en scène algérien installé en France depuis une quinzaine d’années fait de sa double culture le cœur de son travail. Avec sa compagnie El Ajouad, il s’intéresse aux nouvelles écritures algériennes. Et interroge les relations franco-algériennes à travers des fictions bâties entre les deux rives de la Méditerranée.


Après le spectacle “Page en construction”, écrit par Fabrice Melquiot et Odieux de Stefano Massini, sur le conflit israélo-palestinien, vous revenez à l’Algérie. Pourquoi ?


Avec le récent renouvellement des directeurs de centres dramatiques nationaux, j’espérais que la parole se libérerait au sujet du monde arabe. De l’Algérie en particulier, dont le rapport avec la France reste très ambigu, cinquante-cinq ans après l’indépendance. Ce n’est pas le cas. Au contraire, je sens le retour d’une forme de postcolonialisme dans les récits portés sur les scènes françaises.


 


D’où votre projet sur la décennie noire, avec l’auteur Mustapha Benfodil ?


En 2016, j’ai rencontré de nombreux jeunes Oranais et Français dans le cadre de mon projet “Avoir 20 ans aujourd’hui, ici et là-bas”, qui a donné naissance à la pièce Alerte, écrite par Marion Aubert. J’ai constaté que cette page de l’histoire était méconnue. Or, elle explique beaucoup de choses, dans les deux pays concernés. Les artistes algériens doivent s’emparer du sujet. Mustapha Benfodil étant un des auteurs algériens contemporains les plus talentueux, je lui ai passé commande d’une pièce.


 


Comment donner aux artistes algériens davantage de place sur les scènes françaises ?


C’est une question qui me tient à cœur depuis longtemps. J’ai notamment participé, en 2006 à la création de Siwa (une plate­forme d’échanges entre artistes et penseurs arabes et occidentaux, ndlr), afin d’imaginer un partage de collaborations entre l’Occident et le monde arabe. Sans grand résultat. J’envisage désormais l’ouverture d’un lieu de création et de diffusion pour le théâtre arabe. On entend beaucoup parler de la représentation de la diversité de la société française sur les scènes hexagonales aujourd’hui. Vu le nombre d’arabophones vivant en France, le théâtre en arabe y a sa place.


 


Vous créerez prochainement “Mille Francs de récompense”, de Victor Hugo, avec une majorité de ­comédiens d’origine maghrébine. Pourquoi ?


La pensée et l’écriture de Victor Hugo, comme de tout grand auteur, appartiennent à tous. C’est mon message aux jeunes gens d’origine arabe. En Algérie, nous sortons de dix ans de terrorisme qui a affaibli les écritures ; pourquoi ne pas se nourrir de classiques en attendant qu’émergent des dramaturgies singulières ? 


Pour en savoir plus sur la compagnie El Ajouad


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Anais Heluin