Zoubair Cherkaoui, l’Alchimiste des matériaux

 Zoubair Cherkaoui, l’Alchimiste des matériaux

Zoubair Cherkaoui, expert mondial des matériaux composites et directeur de l’innovation chez Huntsman à Bâle. Photo : DR

De Rabat à Bâle, en passant par Strasbourg et Berlin, Zoubair Cherkaoui a bâti un parcours qui l’a propulsé parmi les grands noms mondiaux des matériaux composites. Pour lui, l’innovation industrielle n’est pas qu’une affaire d’équations ou de formules, mais une partition qu’il compose en alliant rigueur scientifique et magie des matériaux.

 

Il parle des matériaux comme on manie le oud : avec rigueur et poésie. Zoubair Cherkaoui, 57 ans, directeur global de l’innovation chez Huntsman à Bâle, rêvait enfant de devenir luthiste. Après des études de chimie à Rabat puis Strasbourg et une carrière académique débutée en Allemagne, il est aujourd’hui l’un des spécialistes mondiaux des matériaux composites, ces alliages légers et résistants qui réinventent l’industrie.

« Le vrai choc, se souvient-il, c’est quand j’ai compris qu’un avion pouvait être plus léger qu’un frigo… et filer à 900 km/h ! » Cette révélation, en 2005, scelle sa vocation : explorer les fibres plus fines qu’un cheveu, capables, une fois associées à des résines intelligentes, de défier le métal et de révolutionner l’aéronautique. Le Boeing 787, avec ses ailes en carbone, restera pour lui un symbole.

En 2006, il rejoint son employeur actuel avec pour mission d’anticiper les besoins des industries et de transformer les avancées scientifiques en solutions concrètes. Avec ses équipes, il imagine, teste et déploie « de nouveaux matériaux toujours plus performants, plus durables, capables de répondre aux défis de secteurs clés comme l’automobile, l’aéronautique ou la construction ».

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Sa trajectoire scientifique, marquée par plus de 130 brevets et plusieurs prix, il la doit aussi à trois maîtres. Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, qui l’a initié en 1989 à une science « créative et multidimensionnelle » et avec qui il est toujours en contact. Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, lui a appris à « voir les matériaux comme des systèmes vivants, évolutifs, presque poétiques ». Et le physicien-philosophe Antoine Skoulios, qui a dirigé son doctorat, lui a transmis l’art de relier rigueur scientifique et pensée humaniste.

Ses travaux ont contribué à des innovations majeures. Celles dont il est le plus fier ? Écrans interactifs ultrarésistants, technologies 3D hybrides, et plus récemment Miralon®, un matériau à base de nanotubes de carbone, plus solide que l’acier, plus léger qu’un cheveu, conducteur d’électricité et générateur d’hydrogène propre. « Ce que je cherche, résume-t-il, ce sont des solutions qui allient performance et durabilité. »

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Supervisant des équipes aux quatre coins du globe, Zoubair Cherkaoui garde néanmoins un œil attentif sur son pays natal : « Le Maroc a un vivier de talents immense. Ce qui manque, ce sont les structures capables de canaliser et valoriser ce potentiel. » Moins de 1 % du PIB est consacré à la recherche, contre 2,2 % en moyenne mondiale.

Il plaide donc pour un investissement massif dans la R&D, la création d’écosystèmes d’innovation où chercheurs, entrepreneurs et industriels travaillent ensemble pour faire émerger des champions nationaux dans des secteurs stratégiques. Et bien sûr, la valorisation des talents marocains.

Lui-même tente d’apporter sa pierre à l’édifice en transférant son savoir-faire vers le Royaume, notamment via la Fondation Suisse Maroc pour le Développement (FSMD). Comme le oud, l’entreprise exige patience et dextérité.

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