Tunisie. Grève générale à Gabès : une région au bord du ras-le-bol

 Tunisie. Grève générale à Gabès : une région au bord du ras-le-bol

Ce mardi 21 octobre 2025, Gabès s’arrête net. L’appel à la grève générale régionale décrété par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) vient traduire l’ampleur d’une colère longtemps contenue : depuis des décennies, la région est frappée par une dégradation environnementale et sanitaire que ses habitants jugent insupportable.

 

La région héberge notamment les installations du Groupe chimique tunisien (GCT) dont les émissions industrielles — gaz toxiques, rejets chimiques, phosphogypse — ont provoqué au fil du temps des effets graves sur l’air, l’eau, la terre et la santé publique.

Mais les évènements se sont récemment accélérés à la faveur de multiples facteurs dont la volonté du pouvoir d’accélérer la production et donc le traitement à Gabès du phosphate. Des jointures défaillantes auraient alors causé des fuites de gaz à répétition : plusieurs élèves d’un collège de Chott Essalem ont été hospitalisés et ont ravivé l’indignation de l’opinion publique.

 

L’équation emplois / environnement, casse-tête pour les autorités

Si la responsabilité de l’ère Kais Saïed n’est pas directement engagée dans le pourrissement d’une situation datant des années 70, la gestion de la dernière crise en date lui incombe néanmoins, avec à la clé l’équation complexe du paradoxe de l’emploi : comment en effet se plier à la volonté d’une partie des locaux réclamant la fermeture du groupe industriel, sans mettre en péril des milliers d’emploi qui nourrissent autant de familles de la région ?

Face à cette réalité, la décision de l’UGTT de déclencher la grève générale s’inscrit pour autant dans une stratégie de pression pour obtenir « des mesures concrètes et radicales ». Le mouvement social articulé autour de cette grève met en avant plusieurs axes, dont l’arrêt ou la relocalisation des unités industrielles jugées polluantes du GCT, afin qu’elles ne soient plus à proximité directe des zones habitées.

La centrale syndicale requiert en outre la mise en œuvre effective des engagements de l’État : pour les habitants de Gabès, les promesses successives n’ont pas été suivies de résultats tangibles. Enfin, la garantie d’un environnement sain, du droit à la santé pour les populations locales, et une enquête publique indépendante sur les effets à long terme de la pollution.

 

Promesses de l’État : une arlésienne

En attendant, des propos du ministre de la Santé sont raillés sur les réseaux sociaux. Au Parlement lundi, l’ancien militaire a promis de nouvelles installations hospitalières de pointe à Gabès spécialisés dans le cancer.

Par la voix du président Kaïs Saïed et de plusieurs autres ministres, l’Etat a multiplié les annonces : le président a qualifié la situation à Gabès d’« assassinat de l’environnement », déclarant suivre personnellement le dossier et promettant des solutions « urgentes et immédiates ».

Le ministre de l’Equipement et de l’Habitat, Salah Zaouari, a annoncé que six projets majeurs pour plus de 200 millions de dinars, visant à réduire les émissions industrielles et arrêter les rejets de phosphogypse, seraient lancés ou achevés dans les prochains mois.

L’État s’engage également à entamer un dialogue stratégique global non seulement pour Gabès, mais pour l’ensemble des zones industrielles du pays, rompant avec ce qu’il appelle « des approches traditionnelles », allusion au favoritisme régionaliste de décennies de règne bourguibiste qui a sacrifié certaines villes au profit de la région touristique du Sahel dont sont originaires Bourguiba et Ben Ali.

La grève générale de ce 21 octobre apparaît donc comme un moment charnière : soit l’État fait la preuve d’une capacité à traduire ses promesses en actes concrets, soit le mécontentement pourrait s’amplifier avec des mobilisations encore plus larges sur le reste du territoire. En somme, Gabès n’est plus un dossier local marginal : il s’est mué en symbole d’un défi national — concilier industrie, emploi, développement et droit à un environnement sain. La journée de grève de ce 21 octobre pourrait bien marquer un tournant dans ce débat.

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