Le Maghreb en bonnes voies

 Le Maghreb en bonnes voies

crédit photo : Fadel Senna/AFP- Fethi Belaid/AFP- Serge Attal/Onlyworld.net/AFP


Stratégies de hub, marchés de niche, développement du fret maritime et aérien… Le secteur des transports se renouvelle au Maroc, en Tunisie et en Algérie et offre de belles perspectives de développement. Plusieurs projets d’ampleur sont en cours de réalisation. 


Le secteur des transports est étroitement lié au développement socio-économique d’un pays, permettant l’impulsion des échanges commerciaux et favorisant l’essor de la productivité. Le Maroc, la Tunisie et l’Algérie l’ont compris : la dynamisation du secteur passe par la mise en œuvre de réformes structurelles axées sur la libéralisation du marché, l’extension et la modernisation des ports, le développement des réseaux routiers et autoroutiers existants, ainsi que l’instauration d’une concurrence entre opérateurs, en y associant un secteur privé régulé et organisé. Aussi, si les pays du Maghreb ont adopté des trajectoires économiques différentes, tous ont mis en œuvre des plans d’action dans le transport aérien et portuaire.


Leur position stratégique pour la desserte de l’Asie, l’Europe et l’Amérique suscite l’intérêt des armateurs. Et pour cause, les ports structurent les territoires et jouent un rôle primordial dans la promotion des échanges commerciaux, notamment dans l’approvisionnement en biens manufacturés, en produits de consommation (fruits, légumes, produits semi-finis), ou en composants industriels et matières premières (gaz, pétrole, carburants).


 


Port au Maroc, réseau routier en Algérie…


Depuis le lancement du grand port Tanger Med, le Maroc a dynamisé son commerce international, notamment grâce au flux des conteneurs et a amélioré ses performances en 2017 (selon la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement). Profitant de la réalisation d’un dense réseau routier et autoroutier – notamment la route transsaharienne cette dernière décennie –, l’Algérie se lance, elle aussi, dans le développement du transport maritime. Le pays ambitionne de construire des ports desservant ­l’arrière-pays par voie terrestre. Ces infrastructures ­permettront aussi de relier l’Afrique de l’Ouest.


Abdelghani Zaâlane, ministre des Travaux publics et des Transports algérien, a affirmé que le pays a prévu d’acheter 26 navires cargos. Un accord pour l’acquisition d’un car-ferry, d’une capacité de 1 800 passagers et de 600 véhicules, a par ailleurs été conclu en mars entre un groupement chinois (GSI/CSTC) et l’Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs (ENTMV). Le navire, dont le coût est estimé à 175 millions de dollars (133 millions d’euros), viendra compléter la flotte algérienne d’ici à 2020.


 


Ça bouchonne en période estivale


Pour répondre à la demande, en progression constante, les compagnies aériennes affrètent des avions supplémentaires et pratiquent le surbooking (technique qui consiste à vendre plus de billets que de places disponibles dans l’avion, et qui anticipe donc le fait que des passagers puissent annuler leur voyage au dernier moment, ce qui n’est pas toujours le cas).


Evaluée à plus de 14 millions de passagers annuellement et positionnée à la troisième place, juste derrière les marchés européen et américain, la filière de l’aérien dispose d’un bon potentiel de développement. Dynamisés par la fréquentation touristique, le Maroc et la Tunisie représentent des marchés de taille en matière d’offres low cost. De son côté, l’Algérie, qui enregistre un flux de 4,5 millions de passagers par an, composé majoritairement de la diaspora basée en France, est aussi considérée comme une destination phare.


 


Des tarifs trop inconstants


Durant la saison estivale, la forte affluence des vacanciers engendre des files d’attente interminables dans les aérogares, provoquant la gronde des voyageurs qui se plaignent des prix proposés pour les vols et les traversées. En effet, les tarifs des voyages en bateau varient en moyenne entre 2 000 et 2 500 euros (voiture, passagers) pour un Marseille-Alger, contre une moyenne de 600 euros pour une traversée Marseille-Tunis. Quant aux prix pratiqués pour un vol Alger-Paris, ils sont proposés à 430 euros et peuvent atteindre 800 euros en juillet-août. Cette situation s’explique, entre autres, par l’exercice du quasi-monopole des compagnies Air Algérie, Aigle Azur et Algérie Ferries.


Nombreux sont ceux qui économisent durant des mois pour se permettre de passer l’été en famille. D’autres préfèrent planifier leurs voyages en dehors de la saison estivale. “La hausse des prix m’a incitée à programmer mes voyages en Algérie avant le rush de l’été, ­témoigne Karima qui retourne régulièrement voir sa famille. Avec le même budget, je m’offre un voyage au ­soleil, en dehors du Maghreb.”


Pour répondre à la forte demande, Air Algérie affrète des vols supplémentaires auprès de ses partenaires étrangers. Cet été par exemple, la compagnie a prévu de renforcer son offre vers et à partir d’Oran par deux vols hebdomadaires, programmés du 17 juin au 16 septembre. La ligne Alger-Montpellier, créée en 2004, aura elle aussi une seconde desserte chaque dimanche. De son côté, la compagnie française ASL Airlines, qui dessert trois fois par semaine Roissy-Alger, proposera neuf vols hebdomadaires en juillet-août. ­Selon la direction, elle envisage de développer ses activités en exploitant des niches, comme la liaison Bordeaux/Toulon vers Oran. D’autres compagnies desservent l’Algérie : Transavia (filiale d’Air France), Aigle Azur et l’Algérienne Tassili Airlines.


 


Le low cost s’invite dans le ciel


Ainsi, l’ouverture du ciel permet aux compagnies de développer de nouvelles dessertes et de construire des hubs permettant d’assurer la connexion des aéroports à travers les continents, à l’image de certaines compagnies comme Emirates, Qatar Airways ou Turkish Airways, lesquelles ont conquis des parts de marché considérables ces dernières années.


Après avoir signé en 2006 le traité dit de “ciel ouvert” (“open sky”), et l’avoir mis en œuvre avec l’Union européenne depuis 2008, la Royal Air Maroc (RAM) tire son épingle du jeu. Malgré l’augmentation des charges opérationnelles dues, entre autres, à la hausse du prix du pétrole et l’installation d’une concurrence très agressive des compagnies à bas coûts (Ryanair, Easy­Jet, Transavia, Air Arabia ou Vueling), la compagnie a enregistré une augmentation de 9 % du nombre de passagers entre 2016 et 2017.


Selon son PDG Abdelhamid Addou, “la compagnie ­affiche de bons indicateurs de croissance” et, pour contrer la concurrence, mise sur le développement du fret, l’acquisition de nouveaux appareils et l’ouverture de nouvelles dessertes. La RAM entend passer de la dimension de compagnie régionale au rang de transporteur global qui proposera, depuis le hub de Casablanca, davantage de long-courriers, avec une couverture de l’Afrique au Moyen-Orient, et du Maroc vers les pays de l’Amérique du Sud et du Nord.


Négocié depuis 2011, un accord pour l’ouverture du marché aérien a été conclu entre la Tunisie et l’Union européenne en décembre. L’entrée en vigueur de l’“open sky”, prévue avant la fin 2018, sera une aubaine pour les voyageurs et les agences, qui pourront proposer des offres très attractives dès cet été.


Toutefois, l’accord comprend une clause concernant la desserte Tunis-Carthage, qui continuera à être ­exploitée par Tunis Air pour une période de cinq ans. Les compagnies low cost, comme EasyJet ou Ryanair exploitent, quant à elles, les villes de province (Monastir, Djerba et Tabarka). Même si elles adoptent des politiques tarifaires agressives (aller-retour à moins de 100 euros), ces compagnies n’excluent pas de majorer leurs tarifs en période estivale.



Bientôt un boom pour le tourisme tunisien ?


Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne, voit dans cet accord de l’“open sky” une bonne opportunité pour le pays. Aussi, selon les projections de l’Office national de l’aviation civile et les aéroports de Tunisie, l’ouverture du marché aérien permettra d’atteindre 20 millions de touristes dans une décennie, contre 8,5 actuellement. Le secteur du tourisme, qui représente déjà 15,1 % du PIB, selon un rapport du Cnuced en 2017, devrait évidemment en profiter.


Attendue depuis plusieurs années, l’ouverture du ciel algérien n’est pas encore d’actualité. Cité par l’Algérie Presse Service (APS), le ministre de tutelle reconnaît que la situation financière de la compagnie nationale, Air Algérie, est difficile. Une conjoncture contraignante, caractérisée entre autres par un sureffectif (près de 10 000 salariés), exige la mise en œuvre de mesures de restructuration inéluctables, comme le gel des recrutements, le renforcement de la flotte, la création de nouvelles lignes, la limitation des subventions généreuses non productives accordées par l’Etat, ainsi que la contraction du nombre des agences (150), dont celles implantées en France.


 


Des compagnies nationales sous pression


“A l’ère de la digitalisation, Air Algérie pourrait faire des économies en commercialisant ses produits et ses services via internet. La compagnie devrait adopter une gestion plus pragmatique, en utilisant les moyens financiers pour renforcer sa position à l’échelle régionale en gagnant en compétitivité”, souligne Kamel, un chef d’entreprise, client régulier de la compagnie algérienne.


A titre comparatif, une stratégie de gouvernance, adoptée par la RAM en 2011, a permis la mise en œuvre d’un plan de restructuration pour la modernisation de la flotte, la réduction de l’effectif et le rééquilibrage des comptes. Après avoir été au bord de la faillite, elle a été distinguée, en 2017, meilleure compagnie africaine par Skytrax (un organisme britannique indépendant). “La fidélisation de la clientèle, des tarifs compétitifs et des prestations irréprochables sont les éléments essentiels pour garantir la pérennité d’une compagnie aérienne. Ces efforts ont été fournis par la RAM, je l’ai constaté lors de mes nombreux voyages au pays”, note Kamel.


L’ouverture des marchés, l’investissement dans les infrastructures et la consolidation des pavillons nationaux, dans le maritime comme dans l’aérien : voilà la stratégie gagnante. Elle permet de créer une connectivité de taille dans la rive nord de la Méditerranée et, par-là même, d’accélérer le développement économique de la région. 


 


LES PROGRAMMES EN COURS DE RÉALISATION



TANGER MED II (MAROC)


L’extension du port, qui aura deux nouveaux terminaux, sera inaugurée en 2019. Le terminal 3, dont le quai fera 800 mètres, a nécessité un investissement de 240 millions d’euros et le terminal 4 (2 000 mètres de quai), 758 millions d’euros. Le Tanger Med II aura une capacité totale de 5,2 millions d’EVP (équivalent vingt pieds), l’unité de mesure du nombre de conteneurs. Il s’agira du premier terminal de conteneurs automatisé d’Afrique.


 


PORT D’EL HAMDANIA (ALGÉRIE)


Construit sur 3 123 hectares dans la commune de Cherchell (Tipaza), il sera destiné au transport des marchandises, après son raccordement aux réseaux ferroviaire et autoroutier. Nécessitant un investissement de 3,3 milliards de dollars (2,8 milliards d’euros), il disposera de 23 quais d’une capacité de traitement de 6,5 millions conteneurs et de 25,7 millions de tonnes de marchandises.


 


NADOR WEST MED (MAROC)


Le projet portuaire est prévu dans la baie de Betoya pour 2021. Les deux terminaux seront destinés aux hydrocarbures et aux marchandises, avec une capacité de 3 millions d’EVP.


 


PORT D’ENFIDHA (TUNISIE)


Le projet du port en eaux profondes à Enfidha (non loin de Sousse), relancé depuis février 2018, disposera d’une zone logistique de 1 000 hectares. Le coût global de ce projet – assumé par un investissement public-privé – s’élève à 1 milliard d’euros. Le port sera finalisé d’ici à 2024.

Hakima Kernane