La maison aux milles mirages de Pierre Loti

Après des années de travaux, la maison de l’écrivain Pierre Loti, amoureux de l’Orient, rouvre ses portes cet été à Rochefort, sa ville natale. Photo de « la mosquée » © Julie Limont
Derrière sa façade sobre, typique de Rochefort, rien ne laisse présager les trésors que recèle la demeure de Pierre Loti. Cet écrivain-voyageur et officier de marine s’y est inventé un ailleurs à domicile. Cap sur l’un des plus extravagants monuments historiques de France, qui vient de rouvrir ses portes après de longs et dispendieux travaux de restauration.

Il se maquillait les yeux de khôl et posait volontiers vêtu en tenue de bédouin. Il a transformé sa maison familiale en un labyrinthe d’univers exotiques : pagode japonaise, salon turc, chambre arabe… De chacun de ses séjours lointains, Pierre Loti revenait avec une idée de roman en tête et des centaines de kilos d’objets dans sa soute.


Symbole le plus abouti de ce fantasme orientaliste, une pièce concentre à elle seule l’ambition démesurée de cet orient rêvé. C’est aussi la plus célèbre et la plus photographiée. Surnommée la mosquée, elle en est l’indétrônable point d’orgue. Même si l’on aperçoit depuis son unique fenêtre un minaret couronné d’un croissant de lune, cette salle n’a jamais servi de lieu de prière. Il ne faut pas non plus se laisser tromper par la présence d’un mihrab. Pour Loti, il s’agit avant tout de créer un décor propice aux voyages immobiles.
Aménagé entre 1895 et 1897, cet espace s’inspire des riches palais de Damas. Le plafond en bois de peuplier, provenant d’une maison syrienne, a nécessité une coûteuse restauration – 400 000 euros – après avoir été dévoré par les xylophages.


Les boiseries, elles aussi syriennes, dialoguent avec deux vitraux somptueux, reconstitués par Florent Boissary, Meilleur Ouvrier de France formé à Casablanca. Quant aux mille et un zelliges, ils viennent d’Iznik, en Turquie, mais aussi d’Espagne, du Maroc et d’Algérie : une mosaïque éclectique où l’émerveillement esthétique prime sur la rigueur historique.
Pour parfaire cette mise en scène, Loti demandait à l’un de ses domestiques d’imiter l’appel à la prière lorsqu’il recevait dans ce lieu réservé à quelques happy few. On y trouve également une copie de la stèle d’Azyadé, une jeune femme rencontrée à Istanbul, qui inspira son roman éponyme.

Attenante, la chambre arabe, offre un contraste saisissant avec la somptuosité de la « mosquée ». Inspirée des tentes bédouines découvertes lors de ses séjours en Afrique du Nord, Loti en a recréé une version sublimée aménagée dans une maison bourgeoise. Au plafond, des palmes séchées suspendues évoquent les oasis tandis qu’une ouverture percée dans le toit lui permettait de dormir en contemplant le ciel étoilé à l’instar des nomades du désert.


Mais c’est le salon turc qui révèle le mieux les tensions intérieures de Pierre Loti. Il y travailla pendant près de dix-sept ans, de 1877 à 1894, sans jamais en être pleinement satisfait. Retrouver l’émotion éprouvée lors de son premier séjour en Turquie relève d’une quête impossible. Plus il multipliait les détails, plus le salon perdait de son essence ottomane.
L’ambiance finale s’approche davantage d’un style hispano-mauresque, avec un plafond à moqarnas inspiré de l’Alhambra de Grenade. Il semblerait d’ailleurs que cet élément ainsi que les plâtres ornementaux auraient été réalisés par des artisans marocains. Aux murs, de précieuses armes orientales, des cadeaux princiers, sont exposées dont un sabre dit « nimcha » offert par le roi Hassan Ier du Maroc.


Continuer à voyager, même une fois de retour dans son port d’attache, Rochefort, telle était l’ambition de Pierre Loti avec cette maison dont on franchit les pièces comme on franchit les frontières de contrées imaginaires. Ses mises en scène en disent davantage sur lui que sur les territoires traversés.
L’écrivain Maati Kabbal suggère dans Dans l’intimité coloniale de Fès, que c’est peut-être moins l’Orient réel que son reflet déformé qui habite les murs de Loti… Ce qui n’enlève rien à la fascination qu’exerce ce lieu, véritable invitation au voyage, digne de tous les détours.
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