La Tunisie classée “pays d’origine sûr” : derrière le label européen, la réalité d’un outil migratoire répressif et assumé

 La Tunisie classée “pays d’origine sûr” : derrière le label européen, la réalité d’un outil migratoire répressif et assumé

En inscrivant officiellement le 8 décembre la Tunisie sur la liste européenne des « pays d’origine sûrs », l’Union européenne n’a pas seulement cherché à délivrer un brevet de stabilité démocratique et sécuritaire. Derrière la formulation technique, la décision adoptée à Bruxelles s’inscrit avant tout dans une stratégie assumée de durcissement des politiques d’asile et de retour, alors que les États membres tentent de réduire les arrivées migratoires et d’accélérer les procédures d’expulsion.

Outre les satisfécits officiels en Tunisie autour de cette caution européenne symbolique, le président du Conseil national des régions et des districts, Imed Derbeli, a beau affirmer aujourd’hui mercredi que le pays restera souverain dans ses décisions, libre dans ses choix et maître de ses ressources, la polémique fait rage sur le plan national à propos de la transparence de cette décision ou d’éventuelles concessions supposément cédées par le pays sur le plan migratoire.

Car certes, pour l’UE, classer un pays comme « sûr » ne signifie pas qu’il est exempt de tensions politiques, de restrictions des libertés ou de difficultés socio-économiques. Cela signifie que, selon son évaluation, les demandes d’asile émanant de ses ressortissants sont considérées comme ayant a priori peu de chances d’aboutir. Concrètement, cette qualification permet d’examiner ces dossiers en procédure accélérée, voire d’émettre des refus quasi automatiques, sauf cas individuel jugé exceptionnel.

Cette décision touche particulièrement la Tunisie, où le durcissement politique de l’après juillet 2021, les arrestations de figures de l’opposition, les poursuites contre des journalistes ou encore la pression judiciaire sur la société civile nourrissaient ces derniers mois un débat européen sur la pertinence d’un tel classement. Mais pour Bruxelles, l’enjeu dépasse le strict examen de la situation des libertés publiques : il s’agit de rendre la mécanique migratoire plus rapide et plus efficace en identifiant des pays jugés globalement sûrs pour le renvoi des demandeurs d’asile déboutés.

 

Le mémorandum de 2023 ressurgit

En toile de fond, se profile l’accord de partenariat conclu en 2023 entre l’UE et Tunis, centré notamment sur la lutte contre les départs irréguliers. Depuis, les États membres multiplient les instruments pour renforcer les retours vers la Tunisie, devenue l’un des principaux points de passage vers l’Europe et le premier pays de départ au cours de certaines périodes. Le classement annoncé cette semaine s’inscrit dans cette continuité : il facilite juridiquement le renvoi de Tunisiens en situation irrégulière et permet de réduire les délais de traitement de leurs demandes.

Cette décision risque toutefois de nourrir les critiques, tant en Europe qu’en Tunisie. Les ONG de défense des droits humains rappellent que la notion de « pays sûr » peut entrer en contradiction avec la réalité vécue par certains requérants, notamment les opposants politiques, les journalistes sous pression ou des personnes ciblées par des accusations liées à la liberté d’expression.

À Tunis, l’annonce pourrait également être instrumentalisée politiquement : le pouvoir pourrait y voir une validation implicite de sa trajectoire, tandis que ses détracteurs y liront un signal d’incohérence de la part de Bruxelles.

Au-delà du débat symbolique, l’enjeu reste profondément opérationnel. Avec ce classement, l’UE confirme la direction prise par son nouveau Pacte sur la migration et l’asile, sous l’impulsion de l’Italie de Meloni : accélérer les procédures, limiter les arrivées irrégulières et multiplier les retours. L’Afrique du nord en devient l’un des terrains d’expérimentation les plus immédiats.