Pascal Tessaud : « Ce film est mon premier désir de cinéma (…) »

 Pascal Tessaud : « Ce film est mon premier désir de cinéma (…) »

Dix ans après Brooklyn, le cinéaste Pascal Tessaud fait son retour sur grand écran avec Dans la peau, drame sentimental sur fond de danse hip-hop et de rébétiko. Originaire de la région parisienne, l’adepte de Paul Carpita rend hommage à sa ville d’adoption, ses quartiers populaires, son métissage culturel et son ouverture sur le monde, sans éluder sa réalité violente.

Propos recueillis par Jean-Jacques Rue

Votre dernier film pour le cinéma, c’était Brooklyn, en 2014. Un film tourné à Saint-Denis. Qu’avez-vous fait depuis et pourquoi avoir rejoint Marseille?

Après Brooklyn, j’ai parcouru le monde pendant trois ans pour réaliser Beatbox, boom bap autour du monde, un tour du monde avec des grands beatboxers. Puis un projet pour Arte Paris 8, la fac hip Hop de 10 épisodes. Ensuite le Covid et pour ce nouveau projet, j’ai eu pas mal de déconvenues avec des producteurs. Le temps d’en retrouver un, voilà…

En sachant que pendant ce temps, il fallait gagner sa vie, j’ai donc donné pas mal de cours de cinéma, notamment à Marseille pour l’association Ph’art et Balises, qui travaille avec les quartiers populaires.

C’est comme ça que j’ai commencé à bien m’immerger dans le tissu associatif des Quartiers Nord, en y menant des workshops et à me rapprocher de la jeunesse marseillaise multiculturelle. J’ai proposé ensuite à Yasmina Er Rafass, la directrice de l’association qui dirige l’Académie Moovida qui forme une centaine de jeunes par an, de se lancer dans l’aventure d’un long métrage en y faisant un casting interne. On a donc fait un choix puis un atelier intensif de deux mois.

Qu’est-ce que vous avez trouvé à Marseille que vous ne trouviez pas en région parisienne ?

C’est la Méditerranée, la mer, la vie italienne, algérienne, comorienne. Moi j’ai des origines diverses, espagnole, italienne, grecque. Donc j’ai toujours été fasciné par cette ambiance. J’ai fait mes études à l’université Ca’Foscari Di Venezia en Erasmus. Et quand j’ai découvert en 99 Marseille, j’ai eu un coup de coeur amoureux. C’est une ville hospitalière, portuaire, une ville du peuple. Paris à un côté aristocratique comparé qui privilégie les touristes plus que les quartiers populaires. Quand on grandit en banlieue parisienne (moi le 91 et le 78) on ne se sent pas le bienvenu à Paris. Etant de famille ouvrière et de culture métissée, Marseille c’est plus vivant.

En 2010, j’ai tourné un documentaire pour France O sur la scène musicale marseillaise avec Akhenaton, Soprano, Carpe Diem etc. Et j’ai fait un livre d’entretiens avec le cinéaste Paul Carpita, (Paul Carpita, cinéaste franc-tireur, ndlr), auteur du film Le Rendez vous des quais tourné en pleine guerre coloniale d’Indochine en 1954 et qui a subit la plus grande censure du cinéma français pendant trente-cinq ans ; un réalisateur autodidacte, fils de docker et de poissonnière qui fût le premier fils d’ouvriers à réaliser un long métrage, à 28 ans. C’est un cinéaste qui m’a permis de prendre confiance, m’a aidé à me libérer de mes complexes de classe. J’avais enfin un modèle à suivre, puis j’ai fait mon premier film Brooklyn.

Dans la Peau est à la fois le récit d’une histoire amoureuse, contrariée par les différences sociales et ethniques, une analyse des enjeux politiques et sociologiques des quartiers nord et un hommage au Krump (une danse issue du hip hop née dans les années 2000 à Los Angeles, ndlr)

Ce film est mon premier désir de cinéma, quand j’ai voulu raconter mon expérience de changer de monde, en quittant ma cité d’enfance. Je voulais parler de la fascination réciproque qui existe entre deux mondes différents dans une histoire amoureuse. Marseille est un territoire bien particulier, plein de frontières où la politique a tout fait pour séparer le centre-ville du reste de l’agglomération.

Je voulais montrer à quel point ces fractures influent sur les relations intimes. Et montrer différentes facettes de la ville. Marie, architecte néo marseillaise est coupée de ses liens familiaux. Kaleem a grandit dans les Quartiers Nord, entouré d’amis et d’une famille nombreuse. Kaleem rencontre Marie et s’extrait de son milieu parfois trop étouffant. Il voit en elle, une respiration, ouvre un autre chapitre, ailleurs. Je souhaitais questionner le spectateur : comment s’émanciper sans trahir les siens ? Doit -on partir pour être libre de ses choix? Le personnage de Kaleem est tiraillé entre son appartenance à son monde et sa curiosité. Comment concilier ses aspirations intimes et ses valeurs collectives ? C’est aussi le portrait d’un artiste qui se construit dans l’adversité et qui va devoir faire de vrais choix.

En même temps, Marie a les mêmes paradoxes, elle a réussi l’ascension sociale par les études. C’est une transclasse qui a des origines grecques, ayant grandi dans un HLM de Chambéry. Kaleem découvre sa complexité, Marie va avoir des images étonnées de lui. Elle lui transmet sa passion pour la musique Rébétiko, une musique d’exilés grecs qui va percuter le danseur. Cela va lui donner d’autres perspectives. D’autres voies à explorer.

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Vous inversez le cliché rebattu dans le cinéma français, où trop souvent, une jeune femme issue des quartiers populaires souvent de culture musulmane « s’émancipe » au contact de la culture dominante et laïque…

Dans cette relation amoureuse, chacun apprend de l’autre. Marie va découvrir qu’elle n’a pas d’environnement familial, de chaleur et de soutien autour d’elle, elle est isolée dans sa réussite. En se confrontant à la réalité sociale de Kaleem, elle va mettre en perspective ses propres manques et ses failles affectives et du coup prendre des décisions pour renouer avec ses origines. Kaleem a des racines fortes qu’il a délaissées un certain temps pour elle. Ils cherchent leur place dans la société et le socle commun c’est leur positionnement dans une famille. La famille comorienne de Kaleem le protège, s’inquiète pour son futur et parfois le confronte. Chacun à ses raisons. Il n’y a pas dans ce couple de rapport vertical. Leur rencontre va révéler leurs failles communes telle un miroir que l’on tend à l’autre.

Vous décrivez aussi formidablement la zone grise qui mêle banditisme, les élus, certains bandits contribuant à pallier la faillite des services dans les quartiers.

Oui c’est paradoxal, mais l’économie de la drogue génère aussi une solidarité sociale, comble les manques et les abandons des pouvoirs politiques aux commandes durant des décennies. C’est cette complexité qui m’a intéressé et comme le disait le cinéaste Jean Renoir, pour faire un bon film, il faut comprendre, ne jamais juger.