Quand l’âme tourne, les Derviches d’Istanbul envoûtent le Festival de Fès

 Quand l’âme tourne, les Derviches d’Istanbul envoûtent le Festival de Fès

En parfaite résonance avec le thème des Renaissances, cette cérémonie a rappelé combien les traditions spirituelles peuvent, aujourd’hui encore, nourrir un besoin collectif

Depuis sa création en 1994, le Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde s’est imposé comme un rendez-vous incontournable du dialogue interculturel et interspirituel.

Niché dans la médina classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, cet événement singulier offre chaque année un espace de résonance entre cultures, traditions et quêtes de sens. Placée sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la 28e édition, qui se tient du 17 au 25 mai 2025, explore le thème des Renaissances. Une invitation à se réinventer à travers l’héritage des spiritualités du monde. Concerts, rituels, débats et créations inédites jalonnent un programme où la beauté artistique se fait langage universel.

Une cérémonie soufie comme offrande

C’est dans ce cadre que l’Ensemble des Cérémonies Soufies d’Istanbul a offert, dimanche 18 mai, un moment de grâce absolue au sein de la majestueuse enceinte de Bab Makina. Véritable immersion dans la tradition mystique du soufisme, la prestation turque a transporté le public dans un rituel vivant, empreint de dépouillement et de transcendance. Plus qu’un spectacle, le Sema présenté fut une prière incarnée, une méditation chorégraphiée dans laquelle chaque geste, chaque silence, chaque note tissait une expérience intérieure.

Le Sema, danse cosmique et quête d’unité

Cœur battant de cette cérémonie : la danse des Derviches Tourneurs. Entraînés dans leur rotation hypnotique, ces figures emblématiques du soufisme Mevlevi (fondé au XIII siècle par Jalal al-Din Rumi à Konya en Turquie) ne cherchent ni l’effet ni l’ostentation, mais l’effacement de l’ego pour mieux laisser passer la lumière divine. Leurs longues robes blanches (tenure), semblables à des linceuls, et leurs bonnets coniques en feutre (sikke), symbolisant la pierre tombale de l’ego, participent à cette scénographie du détachement. Leur danse, d’abord lente, puis progressivement plus fluide, évoque les cycles de l’univers : les planètes tournant autour de leur étoile, les atomes vibrants, l’âme gravitant autour de la Présence.

Un rituel en plusieurs étapes

Le Sema est structuré en plusieurs séquences rituelles appelées selam, qui retracent le chemin de l’âme vers la Connaissance. De la matière inerte à l’éveil de la conscience humaine, chaque étape reflète un degré d’élévation. Ce voyage spirituel s’exprime aussi à travers la posture des mains : la paume droite tournée vers le ciel pour recevoir la grâce divine, la gauche vers la terre pour la redistribuer sans retenue. Le derviche devient ainsi un trait d’union, un canal entre le Ciel et le monde, transmettant l’amour divin sans s’y attacher.

Une musique comme souffle sacré

La puissance du rituel repose également sur l’accompagnement musical, essentiel à la transe spirituelle. Le ney (flûte de roseau), avec son timbre plaintif, incarne le souffle divin séparé de son origine. Les percussions (kudüm, bendir), profondes et cadencées, rythment la montée en intensité du mouvement. Les chants psalmodiés — extraits du Coran, poèmes de Rumi, invocations (Dhikr) — tissent un espace sonore vibrant, propice à l’extase mystique (wajd). Cette musique ne berce pas, elle élève.

La philosophie de Jalal al-Din Rumi Rumi incarnée sur scène

À travers cette mise en scène rigoureuse et profondément symbolique, l’Ensemble d’Istanbul a donné vie à l’enseignement de Rumi, figure fondatrice du soufisme Mevlevi. Philosophe de l’amour universel, de la tolérance et de l’unité des êtres, Rumi continue d’inspirer une vision du monde où l’expérience spirituelle dépasse les frontières dogmatiques. Sur scène, chaque élément – de l’ordonnancement des corps à la mesure des pas – traduit cette volonté d’harmonie entre l’humain et le divin.

Un message de paix pour notre temps

En parfaite résonance avec le thème des Renaissances, cette cérémonie a rappelé combien les traditions spirituelles peuvent, aujourd’hui encore, nourrir un besoin collectif de verticalité et de silence intérieur. Loin d’un exotisme folklorique, le Sema présenté à Fès fut une invitation à l’écoute, à la présence, à la beauté, autant de passerelles vers un monde plus conscient et apaisé.

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