Tunisie. Le bras de fer entre le pouvoir et l’UGTT à son apogée

Façade rénovée de l’UGTT à Tunis
Le 7 août à minuit, la communication du Palais de Carthage a publié une vidéo d’une réunion de travail entre le président de la République, Kais Saïed, et la cheffe du gouvernement Sarra Zaafrani Zenzri. Une entrevue qui n’a rien de banal, puisque l’on peut y lire entre les lignes, dans le style tout en allusions caractéristique du chef de l’Etat, un message d’une grande hostilité adressé à la centrale syndicale du pays, l’UGTT, qui paralyse depuis plusieurs jours le secteur des transports.
La réunion fut l’occasion de débattre d’une série de questions se rapportant notamment à la marche des services publics, cite de manière laconique un communiqué de la présidence de la République. Le président Saïed a affirmé que les Tunisiens n’ont que deux options devant eux : « Continuer de vivre comme ils ont pris coutume de le faire par le passé, une vie marquée par le primat du bien-être personnel et des intérêts étriqués. Dans pareille situation, ils doivent être persuadés que cette voie ne mène nulle part, d’autant plus qu’il s’agit d’une option que le peuple Tunisien n’a pas choisie ». Un message à teneur révolutionnaire qui cible un syndicalisme dont on comprend qu’il prend en otage le reste des citoyens et que Saïed ne distingue donc nullement des lobbies de certaines élites.
L’autre option, a poursuivi le chef de l’Etat non sans une forme de solennité, est d’embrasser une « nouvelle vie », celle qu’ils ont connue au lendemain de la révolution de 2011 : il a, à ce propos, cité l’exemple du marchand de légumes qui s’était alors proposé d’offrir généreusement ses produits aux sans-argent, et plus récemment, celui de l’élan de solidarité de certains Tunisiens qui se sont solidarisés en mettant leurs véhicules personnels à disposition de leurs concitoyens, bloqués et en mal de trouver un moyen de transport pour se déplacer.
« Autant d’initiatives qui viennent témoigner de la capacité des Tunisiens à donner incessamment des leçons en solidarité et à asséner de rudes coups aux traîtres et à leurs commis s’activant à l’intérieur du pays », a encore renchéri le président Saïed, tout en rappelant le droit légitime du peuple Tunisien à demander des comptes à ces fauteurs.
Envahissement du QG de l’UGTT
Et c’est chose faite dès le lendemain où en ce jeudi 7 août, un groupe de manifestants a capté et pris à la lettre les propos présidentiels visiblement interprétés comme un feu vert pour assaillir le quartier général de l’UGTT. Arrivés en fin de matinée devant le siège de l’Union générale tunisienne du travail, scandant des slogans belliqueux envers le syndicat, qualifié de « symbole de la corruption » et de « mafia », des protestataires ont appelé à la dissolution de l’UGTT et au départ de son secrétaire général, Noureddine Taboubi, qualifié de « lâche ». Ils ont accusé aussi le l’UGTT de dilapider l’argent des Tunisiens et des travailleurs. Un mouvement pro pouvoir accompagné d’éléments très jeunes décrits comme étant « des casseurs » par des témoins sur place.
De son côté, l’UGTT a réagi à cette manifestation en indiquant que « des groupes criminels attaquent le siège de l’Union de la même façon que les Ligues dites de protection de la révolution en décembre 2012, bras violent d’Ennahdha à l’époque… On recrute des enfants afin d’y parvenir. Il s’agit d’une confrontation visant à pousser le pays vers la violence. Les syndicalistes doivent se mobiliser dans le but de défendre leur organisation », lit-on sur la page officielle du premier syndicat du pays.
Pour rappel, l’UGTT traverse depuis plusieurs années maintenant une crise interne majeure. Ses dirigeants et affiliés sont divisés : certains exigent le départ du secrétaire général, Noureddine Taboubi, considérant que son mandat est illégal. D’autres mettent en garde contre des infiltrés cherchant à déstabiliser la centrale syndicale et à réduire son influence.
Au moment où les manifestations majeures de l’opposition prennent toujours pour point de départ traditionnel la prestigieuse Place Mohamed Ali, abritant le siège de l’UGTT et où sont alignées les berlines allemandes véhicules de fonction des cadres syndicaux, le leadership d’al « ittihad » (l’Union) est par ailleurs perçu par une partie des Tunisiens comme étant une caste de privilégiés surfant sur le rôle joué par cette institution séculaire dans la lutte pour l’indépendance de la Tunisie.
Hier mercredi, des dirigeants de l’UGTT ont déclaré qu’« une décision politique et verticale » a brusquement ordonné l’arrêt des séances de négociations entre le gouvernement et le syndicat affilié des Transports.
Pour Moez Haj Mansour, activiste proche du pouvoir, « l’envahissement du siège de l’UGTT
est une grave erreur, condamnable. Certaines parties cherchent à attiser une guerre entre l’Union et le pouvoir, afin de tirer profit du chaos et des conséquences du conflit ».
