Tunisie. L’Hôtel du Lac, icône architecturale, en cours de démantèlement

 Tunisie. L’Hôtel du Lac, icône architecturale, en cours de démantèlement

L’imposant et iconoclaste édifice aurait inspiré George Lucas pour un vaisseau de Star Wars. Pépite de l’architecture mondiale du XXème siècle, l’Hôtel du Lac de Tunis est en cours de démolition, suscitant polémiques et levées de boucliers dans le pays.

Avec le démembrement bien entamé, la structure du bâtiment est désormais visible

Point d’entrée du centre-ville moderne de la capitale, avec sa structure peu orthodoxe en pyramide inversée, ce bâtiment vieillissant datant de 1973 est « l’un des dix chefs d’oeuvre au monde du brutalisme », explique notamment l’architecte Adnen El Ghali. Le style des années 50-70 caractérisé par des formes monumentales sans ornements connaît même un fort engouement de type « revival », qui serait une « grande perte pour le patrimoine mondial » en cas de démolition, avertit cet historien.

Alliage de béton et d’acier, l’imposant hôtel de 416 chambres, bâti par le talentueux Italien Raffaele Contigiani, sur commande du premier président tunisien Habib Bourguiba à l’époque de l’essor du tourisme, avait accueilli à son apogée des stars dont James Brown, mais a dû fermer dès l’an 2000 pour des problèmes d’héritage et de mauvaise gestion.

 

Rachat libyen et attentisme

Le fonds public libyen Lafico, qui l’a racheté quelques mois avant la révolution en 2010, a obtenu toutes les autorisations nécessaires pour la démolition, affirme son directeur Hedi Fitouri.

Mais dès l’installation des premières palissades à la mi-août 2025, société civile et réseaux sociaux tunisiens se sont enflammés de dizaines de commentaires indignés. Une pétition sur change.org pour « sauver le paysage urbain » de Tunis et « l’un des plus beaux hôtels de Tunisie, icône brutaliste », a même recueilli des milliers de signatures en quelques jours. Une grande mobilisation est annoncée en ce mois de septembre.

D’après le responsable libyen, « diverses expertises » ont toutefois montré que « le bâtiment est une ruine et doit être démoli ». Le Lafico met sur la table 150 millions de dollars pour la construction « d’un centre commercial et d’un nouvel hôtel de luxe de 20 étages » (une tour qui fait donc le double de l’actuel) « qui gardera le même concept et la forme de l’ancien bâtiment », assure Fitouri.

Or, de nombreux tunisois et nostalgiques refusent que l’édifice disparaisse : « investir et moderniser ne veut pas dire démolir et raser sans se soucier de la mémoire collective et de l’héritage architectural », souligne Amel Meddeb, une députée et architecte. Cette experte en patrimoine, qui a lancé l’alerte avant l’été sur la délivrance du permis de démolition, dénonce « un flou total sur le projet final », qui entrave toute contestation légale en temps et en heure.

« Il n’y a aucun panneau officiel sur la nature des travaux en cours, ni d’indications sur le nouveau projet », abonde Safa Cherif, présidente d’Edifices et Mémoires, une association mobilisée depuis une décennie pour « sauvegarder cet emblème de la skyline de Tunis ».

Après avoir échappé à la destruction à deux reprises entre 2010 et 2020, l’Hôtel du Lac avait été encore sauvé à l’été 2022 grâce une campagne de la société civile qui avait poussé le ministère de la Culture à le placer sous protection provisoire.

 

Epuisement des recours

Mais cette mesure a expiré en avril 2023 et malgré le dépôt d’une expertise « démontrant qu’il peut être restauré », le ministère n’a pas accordé de « protection définitive » et l’a même « retirée », un « virage à 180 degrés », selon Meddeb. Pourtant, lors de réunions entre les autorités, les architectes et le Lafico, « une proposition très intéressante avait été discutée en septembre 2024 prévoyant une extension en gardant la structure originelle », dit l’experte.

Pour Gabriele Neri, historien de l’architecture au Polytechnique de Turin, « il faut faire preuve de vision. Ces bâtiments, qui ont 50 ans et en auront bientôt 60 ou 100, sont les témoins d’époques très importantes ».

L’Hôtel du Lac est « le principal symbole en Tunisie » du « contexte géopolitique des indépendances africaines » quand Bourguiba et ses homologues « voulaient se donner une nouvelle image, moderne et ouverte à l’international ». Ce fut aussi une « prouesse d’ingénierie », avec sa base plus petite que le haut et sa charpente métallique venue d’Autriche, souligne l’historien, préconisant de « conserver tout ce qui peut l’être ».

Il s’agit de « se réapproprier et valoriser l’architecture de la deuxième moitié du 20è siècle ». « En Ouzbékistan d’où je reviens, les autorités ont entrepris de faire classer à l’Unesco les monuments soviétiques des années 70/80 », explique-t-il. Pour l’expert, avec la vogue du « brutalisme », objet de films comme The Brutalist, de documentaires ou guides, l’Hôtel du Lac pourrait devenir une attraction pour un tourisme culturel haut de gamme.

>> Lire aussi : Design et durabilité : l’IMA célèbre les talents du monde arabe