Washington accentue sa pression sur Tunis au nom de la démocratie

 Washington accentue sa pression sur Tunis au nom de la démocratie

L’initiative remonte au 16 juin 2023 : deux sénateurs américains de premier plan, le républicain Jim Risch et le démocrate Bob Menendez, déposaient au Congrès un texte inédit : le Safeguarding Tunisian Democracy Act. Cette proposition de loi, fruit d’un consensus bipartite rare dans le climat politique polarisé des États-Unis, visait à conditionner une partie de l’aide économique et sécuritaire accordée à la Tunisie à des progrès tangibles en matière de démocratie et de respect des droits fondamentaux.

Un signal clair envoyé à Tunis, alors que la trajectoire institutionnelle du pays, depuis le coup de force du président Kaïs Saïed en juillet 2021, ne cesse de susciter l’inquiétude à Washington. Deux ans plus tard, le 26 juin 2025, une nouvelle résolution – la S.res.310 – a été introduite au Sénat, confirmant que la vigilance américaine ne faiblit pas. Si elle n’a pas, en l’état, la force contraignante d’une loi, cette résolution réaffirme la détermination de la commission des Affaires étrangères au Sénat à maintenir la Tunisie « sous étroite observation », accusée d’un rétrécissement de l’espace politique.

 

La chambre basse n’est pas en reste puisque le député Joe Wilson a annoncé à son tour le 2 septembre le dépôt d’un projet de loi intitulé « Restaurer la démocratie en Tunisie » impliquant des sanctions.

Pour les États-Unis, allié historique de Tunis dans la lutte contre le terrorisme et partenaire économique clé, « la dégradation de la situation démocratique ne peut être ignorée » renchérit un élu US. L’administration Biden avait déjà exprimé ses réserves à travers des déclarations officielles, mais c’est désormais la chambre haute du Congrès qui prend la main. En liant explicitement une partie de l’assistance américaine – qui représente plusieurs centaines de millions de dollars sur la dernière décennie – au respect des libertés publiques, la majorité trumpiste entend envoyer un avertissement ferme.

Ce type d’initiative s’inscrit dans une longue tradition de la diplomatie américaine : utiliser l’aide extérieure comme levier pour promouvoir les valeurs démocratiques, en particulier dans des pays considérés comme stratégiques. Or, la Tunisie, souvent présentée durant la décennie 2011 – 2021 comme l’unique succès du « printemps arabe », occupe une place symbolique dans ce dispositif. Sa « dérive autoritaire » récente met à mal cette image et contraint Washington à réajuster son approche.

 

La doctrine souverainiste à l’épreuve

Pour Tunis, la pression américaine constitue un dilemme. D’un côté, la dépendance aux financements extérieurs rend difficile une rupture frontale. De l’autre, le président Saïed a multiplié les discours de défiance à l’égard des « ingérences étrangères », affirmant que la souveraineté nationale ne saurait être négociée. Cette rhétorique, qui trouve un certain écho auprès d’une opinion publique lassée des injonctions occidentales, complique la marge de manœuvre diplomatique tunisienne.

La nouvelle résolution de l’hémicycle américain, bien que symbolique, traduit donc une volonté claire : maintenir la Tunisie au cœur du radar politique de Washington. Si elle venait à être suivie de mesures plus contraignantes telles que la suspension partielle de l’aide, une révision des programmes de coopération militaire ou une conditionnalité accrue, l’impact sur l’équilibre déjà bancal du pays pourrait être considérable, au moment où les nouveaux tarifs douaniers commencent à se faire sentir.

Figure de l’actuelle opposition tunisienne, Hichem Ajbouni a pour autant mis en garde contre toute tentation d’interventionnisme US :

« Les derniers à pouvoir nous donner des leçons de démocratie et de droits de l’homme sont l’administration américaine et ses institutions au regard de ce qui se passe à Gaza depuis deux ans ».