Flottille al-Soumoud, un succès mobilisateur parasité par quelques controverses

 Flottille al-Soumoud, un succès mobilisateur parasité par quelques controverses

Des personnalités tunisiennes participant à la Flottille maghrébine dite de la Résilience pour briser le blocus de Gaza ont souligné que cette initiative illustre le rôle « éminent » de la Tunisie dans les mouvements civils de défense des droits humains dans le monde. Pourtant, les premières polémiques sont apparues sur fond de militance de type « woke ». 

Fait rare dans le contexte de tensions politiques qui règnent dans le pays, l’accueil réservé aux bâtiments de la flottille dans les ports de la Tunisie ainsi que les facilités mises à leur disposition pour poursuivre leur traversée maritime vers Gaza, attestent de la suspension des querelles politiques nationales le temps d’une célébration militante au même dénominateur commun humaniste et humanitaire. Symbole de ce consensus, un signe pro palestinien du « V » de la victoire levé par des membres de la Garde nationale tunisienne escortant l’un des navires de la flottille et dont la vidéo devient virale.

Un succès de mobilisation d’autant plus remarquable que le couple à l’initiative du volet tunisien de la flottille, Wael Naouat et Jawaher Channa, sont connus pour leur appartenance à une extrême gauche notoirement hostile à l’actuel pouvoir de Kais Saïed. Qu’à cela ne tienne, l’Etat tunisien aura pendant une dizaine de jours permis l’arrimage de la flottille via l’ouverture de trois ports, assuré sa sécurité et son ravitaillement gratuit en carburant, puis facilité depuis hier ses premiers départs.

 

Figures high profile

Présent au port de Sidi Bou Saïd au moment du départ de la flottille, le député Mohamed Ali, mouvement Echaâb, a qualifié le rassemblement des « voix libres du monde » en Tunisie de « moment historique et exceptionnel, en parfaite harmonie avec la position du peuple tunisien envers la Palestine.

Il a ajouté que sa participation, ainsi que celle de députés venus saluer les navires, visait à « dénoncer et mettre fin aux crimes sionistes ». En sa qualité de président de la commission parlementaire des droits et libertés, Mohamed Ali a lancé un appel aux parlementaires du monde entier afin de soutenir la flottille internationale et de la protéger des menaces israéliennes.

De son côté, l’activiste politique et économiste, Lotfi Ben Issa, a rappelé, depuis le Port de Sidi Bou Saïd, que « la flottille maghrébine est une nouvelle tentative de briser le blocus de Gaza après la caravane terrestre maghrébine ». « Elle témoigne du dynamisme et du rôle central de la société civile tunisienne au sein des mouvements civils à l’échelle mondiale » a-t-il renchéri. S’agissant du nombre des participants, Ben Issa a précisé que la flottille mondiale rassemblera des dizaines de navires et plus d’un millier de participants. « Une partie est déjà arrivée en Tunisie depuis l’Espagne, rejointe par des navires tunisiens, italiens, grecs et d’autres pays, formant ainsi une véritable force de pression contre Israel », a-t-il détaillé.

Le coordinateur général de la Coalition « Soumoud » a indiqué que la participation de représentants de 44 pays et de plus d’une centaine de nationalités – militants des droits de l’Homme, personnalités politiques et influenceurs – « vise à accompagner le changement en cours dans l’opinion publique mondiale sur l’occupation des territoires palestiniens ». « Le monde occidental est en train de passer de l’image d’Israël comme unique puissance au Moyen-Orient à celle d’un État coupable de crimes contre l’humanité », a-t-il conclu.

Pour sa part, Yassine Gaïdi, membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), a expliqué, que sa participation « traduit la solidarité des journalistes tunisiens avec le peuple palestinien en général, et avec les journalistes palestiniens en particulier, dont 247 sont tombés en martyrs jusqu’à présent dans la guerre contre Gaza ». Il a ajouté que cette action va au-delà des simples déclarations de condamnation, vers « une mobilisation concrète pour ouvrir une voie humanitaire vers Gaza ».

 

Premières scissions

Toutefois à Bizerte, seconde escale tunisienne de la flottille, le coordinateur Khaled Boujemâa a annoncé hier lundi avoir fait défection en guise de protestation contre la participation d’éléments de la communauté LGBTQ tunisienne en pointe au sein de la flottille. « On nous a menti au sujet de l’identité de certains participants à l’avant-garde de la flottille, j’accuse les organisateurs de nous avoir caché cet aspect », a-t-il pesté lors de deux streams vidéo sur les réseaux sociaux en direct du Port de Bizerte.

En cause notamment, la participation à la flottille de Saif Ayadi, qui se présente comme « activiste queer » dans la première embarcation à avoir quitté le Port de Sidi Bou Saïd vers Gaza.

Autre militante de premier plan à s’être publiquement distancié de cette participation, Mariem Meftah écrit non sans véhémence :

« Les orientations sexuelles de chacun sont une affaire privée […]. Mais être activiste « queer », c’est  toucher aux valeurs de la société et emprunter un chemin qui risque de placer mes enfants et mes proches dans une situation que nous rejetons. Je refuse que l’on propose à mon fils, à l’école, de changer de sexe…  Je ne pardonnerai pas ceux qui nous ont mis dans ce mauvais pas ; il faudra qu’on en parle parce que certains aiment franchir une ligne rouge ou l’ont déjà franchie. J’appelle tout le monde à sauver la situation et à réparer l’erreur faite envers les personnes qui ont donné leur sang pour que cette flottille voie le jour ».

Le présentateur TV Samir Elwafi s’est également fendu d’un statut en ce sens :

« La Palestine est d’abord la cause des musulmans et on ne peut la dissocier de sa dimension spirituelle et religieuse — Jérusalem se trouve à ce titre au cœur de ses symboles et au centre de son destin. Alors pourquoi y mêlez-vous des activistes suspects qui servent d’autres agendas qui ne nous regardent pas et n’ont rien à voir avec Gaza, comme le LGBTisme ?! Pourquoi entendons-nous les voix de ces personnes dans une flottille qui est censée représenter nos sociétés et leur solidarité avec Gaza ?! Pourquoi divisez-vous les gens autour de la plus grande cause qui devrait les unir ?! Pourquoi toutes ces suspicions financières, morales, idéologiques et sécuritaires dans une flottille qui devrait représenter la sensibilité arabe et la conscience humaine ? Que peut-on attendre d’un Arabe musulman qui voit et entend les slogans du mouvement « queer » dans une flottille au nom de sa cause la plus sacrée et qui est ainsi profanée ?! », écrit-il à son tour.

Une vingtaine de navires venus de Barcelone, en Espagne, ont quitté Bizerte, les derniers étant partis à l’aube lundi, en sus de six navires tunisiens, après que le départ de Tunisie ait été repoussé à plusieurs reprises en raison de motifs de sécurité, de retard dans les préparatifs pour certains bateaux et de la météo.