Zoubida tisse l’avenir avec le passé

Crédit photo de droite : Sara Benabdallah
À peine trentenaire, Sofia Kacimi s’est imposée comme l’un des visages les plus prometteurs de la création marocaine. Avec sa marque Zoubida, elle vient de remporter, le 8 octobre, le Prix de l’entrepreneuriat créatif à l’occasion de la première édition du Prix de la mode du monde arabe, organisée à l’Institut du monde arabe à Paris — une consécration pour une créatrice qui fait dialoguer tradition et modernité.
Elle a choisi un prénom désuet pour mieux incarner l’esprit d’une marque qui célèbre l’artisanat marocain. Après avoir fait ses classes au sein de grandes maisons de luxe, Sophia Kacimi remet désormais l’ancien au goût du jour. Si ce prénom fait immédiatement penser, à certains, au tube aux paroles douteuses qui a valu à Vincent Lagaf’ un disque de platine en 1991, pour les arabophones, zoubida signifie littéralement “la crème de la crème”, c’est-à-dire le meilleur.

Pour Sophia Kacimi, qui a vu le jour il y a trente-deux ans à Toulouse, ce prénom a une toute autre connotation. Lorsque, petite, elle séjournait au Maroc, elle entendait souvent sa tante prononcer ce nom et a fini, à tort, par croire qu’il exprimait un certain fatalisme face à la vie. Une interjection que l’on prononce quand elle nous mène ailleurs que là où on avait prévu d’aller… Une acceptation qui colle bien avec l’aventure dans laquelle s’est lancée cette Franco-Marocaine.
Le telmit, c’est fantastique

Avant d’être une marque de vêtements et d’accessoires, Zoubida était le nom donné en 2018 à des retraites d’art qu’elle organisait dans la région de Marrakech. “Les participants étaient initiés à des cours de poterie, de cuisine, etc.”, raconte Sophia Kacimi, aujourd’hui établie à Londres. En 2020, Covid et fermeture des frontières obligent, cette activité s’arrête net.
C’est alors que germe dans l’esprit de cette diplômée d’un master en management et entrepreneuriat l’idée de proposer des produits faisant appel au savoir-faire des artisans privés de la manne touristique.
Elle se souvient que quelques années plus tôt, elle avait demandé à un professionnel marocain de lui confectionner une veste à partir d’un telmit (un tissu d’ameublement recouvrant les banquettes des salons marocains), et ce dernier lui avait ri au nez. Mais face à son insistance, il avait fini par céder.
La pièce en question a connu un succès fou. “Tout le monde voulait me l’emprunter pour une soirée, un vernissage, un concert… Personne ne croyait que cette veste venait du Maroc, c’est dire comme les gens sont trop habitués aux produits génériques que l’on trouve dans les souks”, constate-t-elle.

Entrepreneuse dans l’âme, Sophia Kacimi décide alors de démissionner de son poste de responsable de collection chez Burberry et se met à dessiner des vestes, des manteaux et autres sacs à main créés à partir de telmit.
Le profil de ses clients ? “Il y a ceux qui n’ont pas de lien particulier avec le Maroc, mais qui ont un look original et trouvent les motifs fantastiques.” Toutefois, reconnaît-elle, la moitié de ceux qui craquent pour ses créations sont des Marocains qui résident en Europe et travaillent dans l’art, la musique ou le cinéma.
“Mes pièces leur font l’effet d’une madeleine de Proust. Elles les plongent dans une histoire familiale et toutes les émotions qui vont avec. Aujourd’hui, porter quelque chose de beau n’est pas suffisant. Il faut des articles qui nous parlent. Certains me disent que ça leur rappelle leur grand-mère. Finalement, beaucoup de sentiments émanent de ces tissus.”
Le comédien et rappeur Younès Boucif, l’influenceur Fahd El, les membres du collectif artistique multidisciplinaire La Famille Maraboutage ou encore la styliste jordanienne Nujoud Oweis ainsi que le chroniqueur et humoriste Yann Marguet font partie de ceux qui ont égayé leur vestiaire d’une veste signée Zoubida.
De multiples influences

Disponibles principalement sur Internet, les articles de la marque sont également distribués dans quelques boutiques comme Maison Constantine à Paris ou encore Le Riad Monceau à Marrakech.
Les caftans et costumes anciens qu’elle voit dans les musées des cités impériales marocaines lui inspirent ses modèles. De même que les archives qu’elle consulte à la British Library à Londres. La créatrice se laisse également influencer par les coupes amples et oversize des habits traditionnels japonais.
Quant à la matière première, la créatrice a son réseau secret pour dénicher les stocks de tissus dormants, des brocarts passés de mode dont plus personne ne veut. Elle confie ses trouvailles à la demi-douzaine d’artisans avec qui elle a établi un lien de confiance. Le résultat : des pièces unisexes quasi uniques.
Pendant quinze ans, Sophia Kacimi a évolué au sein de grandes maisons de luxe comme Chanel, Louis Vuitton ou Givenchy. Voir cette industrie de l’intérieur l’a amenée à se poser des questions. Avec Zoubida, elle prend le contre-pied. “Tout est sourcé au Maroc et j’ai fait le choix de ne pas travailler avec des usines.”
Un effort qui a été récemment récompensé par la bourse Craft and Commitment (artisanat et engagement) décernée par la Maison Mode Méditerranée. “Je suis hyperfière et heureuse de voir cette reconnaissance et d’être accompagnée par cette fondation pendant deux ans.”
Des nouveautés (d)étonnantes
De quoi conforter les maalems (les artisans) avec qui elle collabore et dont le regard a bien changé depuis le début de l’aventure initiée il y a trois ans. Les vêtements loufoques sortis de l’imagination débridée de la créatrice et de leurs mains connaissent un engouement certain.
Dernière excentricité en vue ? Une babouche compensée aux antipodes du modèle plat et pointu traditionnel. Zoubida n’a pas fini de détourner les classiques et de détonner.
