Tunisie. Maher Chaâbane, un magnat rattrapé par les affaires

 Tunisie. Maher Chaâbane, un magnat rattrapé par les affaires

La Cour d’appel de Tunis, via sa chambre correctionnelle spécialisée dans les affaires de corruption financière, a condamné hier 16 octobre l’homme d’affaires Maher Chaâbane à deux ans de prison. Portrait.

Cette décision fait suite au renvoi du businessman devant la juridiction compétente par le Pôle judiciaire économique et financier, pour des faits liés à la « constitution de biens à l’étranger sans l’autorisation préalable de la Banque centrale de Tunisie », un chef d’inculpation qui fait régulièrement tomber des géants des affaires dans le pays. Pour rappel, Maher Chaâbane est déjà détenu dans le cadre d’autres affaires judiciaires, certaines ayant donné lieu à des peines de prison, d’autres à d’importantes amendes.

Mais cette nouvelle condamnation vient ainsi alourdir son dossier judiciaire et confirmer le signal selon lequel les autorités sont déterminées à lutter contre les infractions financières.

 

Un empire vacillant

Longtemps considéré comme l’un des symboles de la réussite économique à la tunisienne, Maher Chaâbane « le bâtisseur » incarne aujourd’hui l’image d’un empire fragilisé par une série d’affaires judiciaires. À la tête d’un vaste réseau d’entreprises opérant dans l’immobilier, le tourisme, les travaux publics et la grande distribution, l’homme d’affaires originaire de Sfax a bâti sa fortune dans les années 2000, à la faveur d’un contexte d’ouverture économique et de grands projets d’infrastructure.

Son nom reste associé à plusieurs réalisations phares, notamment le Tunisia Mall, complexe commercial emblématique des Berges du Lac, ainsi qu’à divers projets immobiliers de standing et établissements hôteliers. Discret mais ambitieux, Maher Chaâbane s’est progressivement imposé dans les cercles d’influence économiques et politiques. En 2018 il est désigné parmi les « 100 managers qui ont fait bouger le business en Tunisie ». En 2019, il tente même une incursion dans la vie publique en se présentant aux élections législatives dans la circonscription de Sfax, sans succès.

Mais derrière la façade du succès, les soupçons de malversations n’ont cessé de s’accumuler. À partir de 2023, le nom de Maher Chaâbane revient régulièrement dans les communiqués du Pôle judiciaire économique et financier, au gré d’affaires mêlant crédits bancaires suspects, exportations litigieuses et soupçons de corruption.

 

Succession de poursuites et de mandats de dépôt

En décembre 2023, le tribunal de première instance de Tunis accélère et le condamne à deux ans de prison pour non-rapatriement de recettes d’exportation, une infraction économique qui touche plusieurs opérateurs accusés d’avoir transféré des fonds à l’étranger sans les déclarer. Cette première condamnation marque le début d’une série d’ennuis judiciaires.

Quelques mois plus tard, une enquête éclate autour de l’octroi de crédits bancaires publics estimés à plus de 240 millions de dinars sans garanties suffisantes. L’affaire entraîne l’arrestation de deux anciens directeurs d’une banque publique et révèle l’existence d’un système d’avantages indus, au profit de sociétés appartenant à ou liées à Chaâbane. Le parquet du Pôle financier évoque alors de possibles faits de blanchiment d’argent, de corruption et d’atteinte à l’administration publique.

En janvier 2024, puis à nouveau en septembre 2025, de nouveaux mandats de dépôt sont émis contre l’homme d’affaires pour des accusations encore plus graves : constitution d’une entente criminelle, faux et usage de faux, corruption active et passive et blanchiment d’argent. Selon plusieurs sources judiciaires, les investigations porteraient sur un réseau mêlant des fonctionnaires, des responsables bancaires et des intermédiaires d’affaires.

À chaque nouvelle audience, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Tunis confirme son maintien en détention. Ses demandes de libération provisoire sont systématiquement rejetées, signe de la complexité du dossier et du poids symbolique qu’il revêt, sous l’impulsion de la volonté politique de l’actuel pouvoir.

Aujourd’hui, Maher Chaâbane reste détenu, tandis que plusieurs de ses sociétés sont au ralenti ou sous surveillance judiciaire. Ses partenaires économiques, autrefois nombreux, se distancient. Certains observateurs y voient le symbole d’un tournant : celui d’une justice économique tunisienne plus active face aux pratiques longtemps tolérées dans les milieux d’affaires.

Mais d’autres soulignent la dimension politique du dossier : la chute de Maher Chaâbane intervient dans un contexte où les autorités cherchent à montrer leur fermeté contre la corruption et à redorer l’image d’un État en quête de crédibilité financière. Reste à savoir si la justice établira la frontière entre faute pénale et opportunisme économique. En attendant, Maher Chaâbane, autrefois incarnation d’une Tunisie entrepreneuriale conquérante, est devenu l’un des visages les plus emblématiques de cette ère de reddition des comptes.