Tunisie : ouverture d’une enquête sur des associations financées par la Fondation Soros

 Tunisie : ouverture d’une enquête sur des associations financées par la Fondation Soros

George Soros et son fils Alexander

Les autorités tunisiennes ont ouvert une enquête préliminaire visant plusieurs dizaines d’associations et d’organisations de la société civile, soupçonnées d’avoir reçu des fonds étrangers, notamment en provenance de la Fondation Open Society, fondée par le milliardaire américain nonagénaire George Soros.

Il y a deux ans, la question du désengagement partiel de la Fondation Soros du continent européen était déjà discutée dans les médias français

En Tunisie, cette décision, révélée jeudi par des sources judiciaires, intervient dans un climat politique marqué par une méfiance croissante envers les financements extérieurs et les ingérences présumées dans les affaires nationales. A ce jour, l’instruction a résulté en la dissolution de 47 associations et au gel des avoirs de 36 autres.

Selon les premiers éléments disponibles, les services compétents auraient identifié des transferts de fonds en provenance d’organisations basées aux États-Unis et en Europe, destinés à des associations opérant en Tunisie dans les domaines des droits humains, de la gouvernance et de la promotion des libertés. Ces flux financiers, parfois justifiés comme des “soutiens à la démocratie”, sont désormais scrutés à la loupe par les autorités qui cherchent à déterminer s’ils ont respecté les dispositions légales encadrant les financements étrangers.

Le ministère public aurait ordonné l’ouverture d’un « enquête pour soupçons de financement étranger non déclaré », sur la base de la loi tunisienne de 2018 régissant les associations. En attendant sa réforme maintes fois annoncée, celle-ci impose déjà la transparence des ressources et interdit tout financement susceptible d’influencer l’ordre public ou le processus politique. Plusieurs associations concernées se défendent en affirmant avoir agi dans le strict respect de la législation et dénoncent une instrumentalisation politique de cette affaire.

G. Soros reçu par le Mouvement islamiste Ennahdha en mars 2015

 

Soros, figure mondiale de la philanthropie controversée

George Soros, 94 ans, est un homme d’affaires et philanthrope d’origine juive hongroise, naturalisé américain. Connu pour avoir bâti sa fortune grâce à la spéculation financière sur les devises, il a fondé dans les années 1980 l’Open Society Foundations (OSF), un réseau mondial de fondations actives dans plus de 120 pays. L’objectif affiché : promouvoir la démocratie, l’État de droit, la transparence et les droits humains. Il passe la main à son fils Alexander Soros à partir de juin 2023.

Toutefois, son nom est souvent associé à la controverse. Dans de nombreux pays, des gouvernements l’accusent d’ingérence politique sous couvert d’action humanitaire. En Europe de l’Est, en Afrique ou encore au Moyen-Orient, la présence de ses fondations a été perçue comme un vecteur d’influence occidentale. En Hongrie, son pays natal, le Premier ministre Viktor Orbán a même lancé une campagne politique contre le “réseau Soros”, l’accusant de chercher à modifier les équilibres politiques et migratoires.

Fin septembre 2025, Donald Trump a publiquement annoncé qu’il souhaitait lancer une enquête fédérale contre George Soros et son réseau d’organisations, sous le régime de la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act). Il a notamment accusé Soros de financer des « manifestations violentes », d’agir comme un réseau d’influence et d’« agitateurs professionnels ».

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George Soros est en outre l’un des philanthropes qui ont donné la plus grande part de leur fortune personnelle à des causes publiques. Environ 75 % à 80 % de sa fortune a été consacrée à la philanthropie via l’Open Society Foundations. En valeur absolue, cela représente plus de 32 milliards de dollars transférés depuis les années 1980 à ses fondations et programmes affiliés. Sa fortune personnelle, autrefois estimée à environ 26 milliards $, a donc considérablement diminué au profit de ces dons. En 2017, Soros a effectué un transfert historique d’environ 18 milliards $ vers l’Open Society Foundations — l’un des plus importants dons individuels jamais réalisés. Cependant de nombreux analystes soulignent que l’opération est essentiellement motivée par la défiscalisation : non seulement ces sommes sont défiscalisées en charité mais la manœuvre vise à passer sous le seuil d’une fiscalité confiscatoire au-delà d’une certaine fortune aux Etats-Unis. Le calcul est donc simple : distribuer cet argent à ses fondations domiciliées en partie à l’étranger plutôt que le donner à l’Etat fédéral US.

 

Débat sur la transparence et la souveraineté

En Tunisie, cette affaire relance le débat sur la transparence du financement des ONG et la frontière entre aide au développement et influence politique. Depuis 2011, des centaines d’organisations ont vu le jour grâce à des fonds extérieurs, jouant un rôle essentiel dans la – finalement très surcotée – transition démocratique, mais suscitant aussi la méfiance du pouvoir exécutif.

 

Le président Kaïs Saïed a, à plusieurs reprises, dénoncé des “tentatives d’ingérence étrangère sous couvert d’action associative” et appelé à un assainissement du secteur. L’enquête ouverte contre les structures financées par la Fondation Soros s’inscrit donc dans une ligne politique de reconquête de la souveraineté nationale et de contrôle renforcé du tissu associatif. Reste à savoir si cette démarche débouchera sur des sanctions concrètes ou si elle relèvera davantage d’un signal politique adressé à la société civile.

G. Soros reçu par le président Béji Caïed Essebsi au Palais de Carthage en 2015

ONG tunisiennes bénéficiaires des fonds de l’OSF

Plusieurs organisations de la société civile tunisienne sont documentées comme ayant reçu des financements ou des partenariats de l’OSF ou de ses réseaux régionaux surtout à partir de la révolution de 2011, dont Al Bawsala spécialisé dans la vigilance parlementaire. Son rapport de financement indique que l’OSF a été un donateur extérieur de cette association tunisienne œuvrant pour la transparence, la bonne gouvernance et la participation citoyenne.

Le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES) est aussi une ONG est explicitement identifiée comme ayant pour bailleur l’OSF, avec un périmètre de travail sur les droits économiques et sociaux, les migrants, et les réformes du travail.

Une mention plus générale de l’implantation tunisienne de l’OSF : selon une fiche « Open Society in Tunisia », l’OSF opère en Tunisie depuis 2005, soutient « un large éventail d’organisations de la société civile tunisienne œuvrant à la gouvernance démocratique, à la redevabilité sociale, à la recherche et au dialogue ». Une époque qui coïncide avec le pic des révolutions dites colorées dans le monde. L’agenda de l’administration américaine néoconservatrice de l’époque, bien qu’en apparence éloignée de la tendance progressiste de l’OSF, nourrit les soupçons d’interventionnisme du Département d’Etat US en région Mena, via le levier associatif, pour œuvrer à écarter les régimes autoritaires arabes accusés d’attiser le terrorisme national et international.

I-Watch (antenne de Transparency International), Nawaat et Inkyfada (presse écrite en ligne), ainsi que plusieurs associations œuvrant dans la défense des droits de la communauté LGBTQ+ en Tunisie telles que Mawjoudin, Damj, Chouf et Shams, bénéficient aussi des largesses de l’OSF au même titre que les Femen. Ces exemples montrent que le financement étranger de la société civile tunisienne par l’OSF est documenté, bien que la liste exhaustive des associations concernées ne soit pas publiquement centralisée.

Moins de 100 millions USD annuels consacrés à l’Afrique du nord peuvent-ils avoir une emprise sociétale significative ? Pour les détracteurs de Soros, cela ne fait aucun doute

 

L’agenda progressiste / LGBTQ+ de Soros et de l’OSF

Car l’agenda de George Soros et de l’OSF ne se limite pas à la « gouvernance démocratique » au sens large : il inclut ces dernières années explicitement des programmes autour de la justice de genre, des droits LGBTQ+, des droits reproductifs et de la diversité. Ainsi en 2024, l’OSF a annoncé un engagement de 100 millions de dollars sur cinq ans pour « mobilisation politique féministe », ciblant « des personnes transgenres et de genre non conforme ». Le mouvement LGBTQ+ est mentionné dans des rapports d’analyse de l’OSF comme étant un volet important de l’“égalité & antidiscrimination” (Equality & Antidiscrimination) dans leur répartition de dépenses.

Des sources critiques affirment que l’OSF a financé des programmes dits « woke » « en faveur de l’identité de genre », de la reconnaissance légale des personnes transgenres, et de l’accès à des traitements hormonaux et chirurgicaux dans le cadre plus large des “droits reproductifs”.

Cet agenda suscite des débats importants dans des contextes de pays comme la Tunisie, où les questions de genre, de sexualité et de droits LGBTQ+ sont sensibles politiquement et culturellement. Certains voient dans ce type de soutien un soft-power progressiste, d’autres un motif d’ingérence étrangère. Quoi qu’il en soit, l’inclusion de ces thèmes dans la stratégie de l’OSF renforce l’idée que les financements étrangers ne sont pas purement « neutres », mais porteurs d’orientations conceptuelles et de valeurs au sens idéologique du terme.