Humeur | Civisme : explosion de la violence verbale

(Photo : JORGE GUERRERO / AFP)
La violence verbale est-elle en hausse chez nous autres Marocains ? Malheureusement, un phénomène n’existe pas tant que « les sachants » et autres pseudo-intellectuels ne l’ont pas évoqué, voire dénoncé. Or la violence verbale chez les Marocains (comme chez beaucoup de peuples de par le monde aujourd’hui, cela est vrai) est certainement le passe-temps le plus partagé par toutes les couches de la population.
« Ôte-toi de mon soleil » : l’espace public est l’objet d’une liberté de parole qui n’a plus de limites et, dans ce que la parole a de plus trivial, les gens considèrent leur misérable « petit moi » comme un horizon indépassable. Tout le monde veut faire sienne la fameuse formule « sais-tu au moins à qui tu parles ? », qui était utilisée exclusivement par les gens de la haute. Désormais, l’obscénité, l’insulte claquent à la moindre contrariété : il suffit de doubler un automobiliste pour avoir droit à tous les noms d’oiseaux.
Cet amour immodéré pour les gros mots est aussi partagé par les jeunes filles, qui n’hésitent plus à vous faire un bras d’honneur ou à vous insulter copieusement si vous ne les laissez pas foncer et slalomer entre les véhicules.
Qu’est-ce qui pousse ces individus, qui sont peut-être parfois des gens comme vous ou moi, à insulter sans modération les uns et les autres ? Si l’on en croit les philosophes anciens, le premier moteur de l’insulte, c’est l’illusion de la victoire sur l’autre, comme le pensait Aristote, qui expliquait en effet qu’en outrageant l’autre, on calme la tension intérieure provoquée par la colère.
Quant à Sénèque, ce comportement relève d’un manque de discernement puisque, selon ce philosophe, l’insulte est consécutive à une erreur d’appréciation. Ignorer ces insultes serait, pour lui, l’ultime vengeance face à celui qui vous envoie une bordée de jurons. Arthur Schopenhauer a une opinion plus nuancée, puisqu’il pense que l’insulte est souvent la dernière arme du faible pour sauver ce qui lui reste d’honneur.
En tout cas, tout le monde veut le monde pour lui tout seul. Sa petitesse n’a d’égal que sa capacité à se prendre pour le centre du monde. « Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de mon petit doigt », pensait le philosophe Hume.
Que dirait-il alors de ces manifestations patentes d’égoïsme, incohérentes avec le statut des personnages, car la plupart de ces « insulteurs en puissance » ne sont que des tambours, vides à l’intérieur mais qui résonnent fort à l’extérieur ? Ces égoïstes patentés pensent soumettre le monde entier à leur petit ego, du moment qu’ils crient plus fort que les autres.
Ils se croient tout permis et traitent autrui comme un simple moyen d’atteindre leur jouissance. Et si vous les contrariez dans cette quête illégitime, ils vous tiendront un discours de moralité vous suggérant de vous abstenir de faire à autrui le mal que vous ne voudriez pas qu’il vous fasse. Le comble, quoi !
Son indifférence à l’autre est ainsi transformée en une bonne conscience, alors que la violence verbale est une atteinte personnelle, surtout quand les insultes sont particulièrement blessantes, censées faire mal, humilier et parfois même menacer. Une violence verbale classée à juste titre dans la catégorie du discours de haine.
On notera pourtant que, chez nous autres Marocains, Satan est partout présent, soit dans la réaction des autres aux insultes, soit dans l’intervention d’autrui pour éviter que celles-ci ne se transforment en pugilats en bonne et due forme.
Bizarrement, l’évocation de Satan, supposée calmer l’ardeur de « l’insulteur », a souvent l’effet contraire, les gens se sentant insultés, car ils pensent avoir été accusés de faire partie du clan des « amis du démon ».
Pourtant, ce peuple a bien appris que l’être maléfique, qui s’est enorgueilli en refusant l’ordre divin, avait par la même occasion juré de faire tout ce qui était en son pouvoir pour dévier l’Homme du chemin de Dieu, et l’insulte, l’obscénité font justement partie des armes privilégiées de cet ennemi commun à tous les Hommes.
