PORTRAIT. Touria El Glaoui, la passeuse

 PORTRAIT. Touria El Glaoui, la passeuse

Touria El Glaoui, fondatrice de la foire 1:54, pionnière de l’art contemporain africain et de sa diaspora. (C) Emmanuel André

Fondatrice de la foire 1:54, Touria El Glaoui œuvre depuis plus de 13 ans à relier les scènes africaines contemporaines au marché mondial, en créant des espaces de circulation, de dialogue et de reconnaissance durable.

 

Elle figure parmi les 100 femmes les plus puissantes d’Afrique selon Forbes et parmi les personnalités les plus influentes du continent d’après New African.

Elle, c’est Touria El Glaoui, toute petite cinquantaine, un sourire légendaire et la femme derrière 1:54, comme le nombre d’États que compte le continent. L’unique foire d’art contemporain dédiée à la création africaine, incluant la diaspora, qui se déploie chaque année depuis maintenant treize ans autour de trois éditions à Londres, où elle vit, New York et Marrakech tout en s’autorisant des pop-up à Paris ou São Paulo.

Un univers de création

Née en 1974 à Rabat, Touria El Glaoui grandit entourée des toiles monumentales de son père, Hassan El Glaoui. Chevaux lancés au galop, scènes de fantasia et cavaliers en costumes traditionnels… Ses tableaux aux couleurs chaudes sont immédiatement reconnaissables.

Pourtant, ce n’est pas par ce chemin tout tracé qu’elle est venue à l’art. Son père lui conseille de suivre des études « sérieuses ». En bonne fille, elle obéit.

Révélation

Après son bac, elle s’envole pour New York où elle étudie la finance avant de s’engager pour une douzaine d’années dans une carrière au sein d’un groupe américain qui l’amène à sillonner… l’Afrique.

C’est là, sur le terrain, que quelque chose s’éveille. Partout, elle découvre des artistes, des scènes foisonnantes, une créativité puissante mais confinée et trop rarement montrée hors des frontières. Ce constat provoque un déclic.

Le passé familial resurgit alors comme un rappel. Son père, Hassan El Glaoui, n’aurait lui-même peut-être jamais eu de carrière internationale sans un concours de circonstances devenu légendaire.

Impulsion Churchill

Dans les années 1940, Winston Churchill, alors en séjour à Marrakech, rend visite au pacha Thami El Glaoui, le grand-père de Touria. Celui-ci lui montre les dessins de son fils, en se plaignant que celui-ci ne veut rien faire d’autre que peindre.

Churchill, qui manie lui-même les pinceaux à ses heures perdues, observe les œuvres puis décide que le talent du jeune Hassan est incontestable. Il doit partir étudier les Beaux-Arts à Paris, ce qu’il fait, devenant par la suite l’un des pionniers de la peinture moderne marocaine.

PORTRAIT. Touria El Glaoui, la passeuse
Diptyque de Hassan El Glaoui, Preparation for the Baia’a festival, au Leighton House Museum à Londres, exposé dans le cadre de Meetings in Marrakech: The Paintings of Winston Churchill and Hassan El-Glaoui, organisée par Touria El Glaoui, qui s’y est tenue du 20 janvier au 31 mars 2012. (Photo de CARL COURT / AFP)
Œuvres de Winston Churchill (à gauche) et de Hassan El Glaoui (The palm groves of Marrakech – centre gauche, An alley of palm trees – centre droit, Fields and ramparts – à droite) au Leighton House Museum, à Londres. (Photo de CARL COURT / AFP)

Médiation de talents

Cet épisode, Touria El Glaoui ne l’a jamais oublié. Mieux, elle l’a exploré et mis en lumière en organisant une exposition sur les relations entre Winston Churchill et son père, présentée à Londres en 2011 puis à Marrakech.

Grandir avec ce récit en tête a façonné sa vision. Le talent seul ne suffit pas, il faut des passeurs, des structures et surtout des ponts vers le monde.

2013 : 1:54

C’est cette conviction qui la pousse, en 2013, à prendre un tournant radical : renoncer à une carrière confortable pour créer 1:54 Contemporary African Art Fair. Une foire pensée non pas comme une vitrine exotique mais comme une plateforme inscrite dans le marché global. Depuis la toute première édition, le paysage a profondément changé.

« On a assisté à un véritable changement de paradigme. Le marché a gagné en maturité et en diversité, avec une reconnaissance croissante des artistes du continent et de sa diaspora dans les grandes institutions, les foires internationales et les collections privées. Notre rôle a été d’accompagner et d’amplifier ce mouvement : offrir une plateforme pérenne où les galeries et artistes africains sont visibles aux côtés de leurs pairs internationaux, et où les récits qu’ils portent sont entendus dans toute leur complexité. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de “visibilité”, mais d’une véritable intégration du continent dans le discours global sur l’art contemporain », s’enorgueillit la fondatrice.

Visibilité et intégration

Désormais, Touria El Glaoui ne se contente pas d’organiser des foires mais développe forums, partenariats et autres outils de professionnalisation. Elle pense en stratège et avance avec la patience de ceux qui savent que les transformations profondes prennent du temps.

« Consciente des obstacles structurels qui persistent, 1:54 n’est pas seulement une foire commerciale mais aussi un espace d’apprentissage et de partage d’expérience. »

Au cœur de sa démarche, demeure la conviction que le talent existe et qu’il faut des ponts. Depuis 2013, elle ne les construit plus pour un seul artiste mais pour ceux de tout un continent.

 

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