Présidentielle algérienne, la grande incertitude

 Présidentielle algérienne, la grande incertitude

crédit photo : Ryad Kramdi/AFP


Le 18 avril, les citoyens rééliront-ils Abdelaziz Bouteflika s’il se porte candidat à un cinquième mandat présidentiel ? Pour nombre d’entre eux, rencontrés dans les rues d’Alger, l’actuel système politique doit être revu en profondeur. 


Sous un ciel bleu éclatant, les terrasses algéroises sont bondées de clients, qui profitent de la douceur exceptionnelle de ce mois de décembre. En engageant avec certains d’entre eux la conversation autour de l’épineuse question de l’avenir politique du pays, force est de constater que les attentes citoyennes sont multiples. Même si beaucoup estiment que le scénario est déjà connu. A les écouter, tout est fait pour que le système actuel perdure. “Les rumeurs circulent et de nombreuses pistes sont évoquées, ­notamment la candidature du Premier ministre, Ahmed Ouyahia”, explique Fadila, technicienne de santé dans un hôpital public.


Qu’en est-il d’Abdelaziz Bouteflika, alors ? Les personnes que nous avons rencontrées partagent la même inquiétude : la perspective d’un cinquième mandat, le mandat de trop. Pour eux, le Président n’est plus en état d’assumer ses fonctions. “Il n’est plus visible dans les médias, sauf lors des célébrations nationales, durant lesquelles il laisse entrevoir une très mauvaise santé qui crève le cœur. Il ne participe à aucune rencontre et n’effectue plus aucun déplacement à l’étranger, sauf pour les soins”, note Hajar, chargée d’études dans un établissement bancaire.


 


Une candidature inenvisageable


En visite officielle les 4 et 5 décembre derniers, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane n’a pu être reçu par Bouteflika, “à cause d’une grippe aiguë” de ce dernier, selon un communiqué publié par la présidence. “L’annulation des rencontres avec les chefs d’Etat, c’est devenu courant, note un artiste, qui souhaite garder l’anonymat. Ça avait déjà été le cas pour la chancelière allemande Angela Merkel en 2017. Nous ne sommes pas dupes, le Président ne dispose plus de capacités physiques lui permettant d’accorder des entretiens et de gérer les affaires du pays.” Selon lui, l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika n’est plus un secret. “Les Algériens pourront vous en parler sans hésitation”, assure-t-il.


“Les apparitions du chef de l’Etat sur la scène publique sont rares, confirme un confrère. Le seul média qui diffuse des séquences de lui est la chaîne publique ENTV. Aujourd’hui, aucun journaliste ne peut prétendre pouvoir interroger le Président.” Malika Sadek, une libraire installée rue Didouche-Mourad, au cœur de la capitale, estime qu’une candidature ’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat est inenvisageable. “Je pense que le Président ne s’engagera pas dans cette perspective, car sa santé ne lui permet pas. La ­majorité des Algériens ne souhaitent pas le voir se représenter pour la même raison.” Interrogée sur la crise institutionnelle qui a ­secoué en novembre l’Assemblée populaire nationale (APN)*, la chambre basse du Parlement, Malika Sadek estime que c’est “un non-événement” : “Car cette institution a perdu toute crédibilité. Elle est considérée comme l’antichambre du système politique en place, de la présidence. La crise qui a eu lieu entre les députés et le président de l’Assemblée n’a eu aucun impact sur la vie des citoyens.”


 


Un besoin de renouvellement


Comment rétablir la confiance de ces derniers vis-à-vis des pouvoirs publics ? A cette question, nos interlocuteurs répondent unanimement. Nous l’avons posée à de nombreuses personnes de la société civile. La réponse est quasi unanime : l’Algérie a besoin de renouvellement. “Nous continuons d’espérer un changement radical de notre système politique et de nos institutions, témoigne Sabrina, étudiante à la faculté de médecine. Nous attendons davantage de crédibilité et de fiabilité dans la concrétisation des acquis démocratiques, que les Algériens ont conquis par la révolte pendant de longues décennies.”


“L’espoir viendra par les forces vives de la nation, par la jeunesse et par les femmes, qui se battent chaque jour pour que ce pays ne se perde pas dans les incertitudes les plus sombres”, affirme ­Malika Sadek. Si Abdelaziz Bouteflika se portait véritablement candidat à un cinquième mandat, la libraire assure toutefois que le pays continuerait de fonctionner comme d’habitude, avec “baraket rabi” (selon la volonté de Dieu), comme le disent les Algériens pour plaisanter. Cette autodérision, assure-t-elle, est une échappatoire, qui permet d’éviter de raviver la mémoire d’un passé douloureux, celui de la “décennie noire”. “Comme dit notre très célèbre humoriste Fellag : ‘Nous, lorsqu’on arrive au fond, on creuse.’ Nous vivons une situation kafkaïenne”, conclut Malika Sadek.


Toujours installés en terrasse sous le soleil algérois, d’autres pointent la situation socio-économique désastreuse du pays. “Il n’y a plus de classe politique crédible, pas d’opposition, l’économie est au bord du chaos et la production est insignifiante dans tous les secteurs, hormis celui des hydrocarbures, constate Nesrine B., avocate. La corruption n’a jamais été aussi généralisée et banalisée. L’école, encadrée par des islamistes, produit des fanatiques intolérants. Le pire pour l’Algérie est cet islamisme, qui s’est profondément installé dans la ­société, qui a rongé et qui ronge toutes les valeurs des relations humaines et tout ce qu’il y avait de beau chez les Algériens.”


Un pays “géré par des fantômes”


Pour elle, le quatrième mandat de Bouteflika était “une immense erreur qui a ridiculisé le pays”. Un cinquième mandat scellerait son suicide. “L’Algérie, poursuit-elle, est aujourd’hui géré par des fantômes. Personne ne semble savoir qui tire les ficelles. On a l’impression que le pays coule, que rien n’avance, ou plutôt, que tout recule. Même si l’état de santé de Bouteflika ne posait pas problème, son bilan depuis vingt ans ne lui est pas favorable pour briguer un nouveau mandat.”


Selon l’avocate, “réélire un malade de 81 ans, cloué dans un fauteuil roulant depuis des années, relèverait tout simplement de la ­folie”. “L’Algérie n’a pas besoin d’un infirme, tranche-t-elle. Le pays a plutôt besoin d’être remis sur le chemin de la démocratie et du développement. Nous devons sortir de ce système, qui a valorisé tout ce qui est vil, au point de pousser certains, et c’est mon cas, d’avoir honte de dire : ‘Je suis algérien’. Quel gâchis !” S. Allahoum, enseignant, n’est pas plus enthousiaste : “A mon avis, la quasi-majorité des Algériens ne serait pas d’accord si Bouteflika briguait un autre mandat, s’il en exprimait, ou plutôt si les officiels en exprimaient le désir, puisque lui, il est aphone. Les seuls qui attendent ce cinquième mandat ont peur pour leurs intérêts personnels, alors qu’ils en ont profité pleinement durant ces vingt années de règne.”


L’armée pourrait jouer un rôle clé


“Je pense que nous nous dirigeons vers une période de transition, ­estime Nadia Chawki, cadre dans une entreprise publique. ­J’espère qu’elle se fera sereinement. La stabilité du pays dépend du respect de la Constitution.” L’armée, d’ailleurs, pourrait jouer un rôle important, car elle représente le consensus général auprès des citoyens, suggère-t-elle. A quelques semaines de l’élection présidentielle, les incertitudes sur l’avenir de l’Algérie persistent. 

Hakima Kernane