Amal Guermazi, Maestra en chef

 Amal Guermazi, Maestra en chef

©Khouloud Abdelhedi

Sur scène, elle orchestre l’euphorie. En coulisses, elle structure un héritage longtemps resté oral. Amal Guermazi, cheffe et musicologue, redonne souffle à la chanson arabe grâce à Mazzika, un orchestre en pleine ascension.

Silhouette élancée dans une longue robe vaporeuse, chevelure ondulée, Amal Guermazi apparaît sur la scène du Bataclan à Paris pour diriger Mazzika, le premier orchestre arabe d’Europe. Face à elle, des musiciens majoritairement masculins guettent la moindre indication de sa baguette.

Elle enchaîne chansons populaires marocaines, chaâbi algérois, Fairouz, Abdel Halim, mais aussi des morceaux plus inattendus : Shakira, Tarkan et même le chant révolutionnaire italien Bella Ciao.

De son regard et de son sourire, elle invite le public à prendre part à la fête en reprenant les refrains. L’audience, qui connaît ses grands classiques, n’attendait que ça. La salle exulte.

 

Chady Hakme

Cette énergie qui se déploie sur scène est le fruit d’un projet né en 2018 avec Chady Hakme, avec qui elle a cofondé l’orchestre Mazzika. Il gère l’organisation et les négociations, Amal Guermazi porte la vision artistique.

Ensemble, ils ont souhaité réorchestrer la musique du Maghreb et du Moyen-Orient aux normes internationales, lui offrir un son dynamique, précis, loin des clichés folklorisants. La musicienne réécrit, structure et accomplit un véritable travail d’orfèvre pour fixer une tradition longtemps restée orale.

Ces cinq dernières années, Mazzika a intensifié son activité. Les concerts se sont multipliés dans des salles prestigieuses en Europe, de Genève à Paris en passant par Londres ou Bruxelles.

Le public est mixte : des arabophones nostalgiques, qui n’ont que rarement l’occasion d’entonner en public des refrains dans leur langue maternelle, et des Occidentaux curieux de découvrir un patrimoine dépoussiéré.

Paradoxalement, la formation a dû attendre 2025 pour se produire pour la première fois dans un pays arabe, d’abord au Maroc, puis en Tunisie et au Koweït. « On a enchaîné une trentaine de dates ces dix derniers mois », confie la maestra entre deux concerts à New York et Montréal.

©Khouloud Abdelhedi

De Sfax à Harvard

Son parcours artistique prend forme pourtant bien avant la scène. Enfant de Sfax, née dans une famille mélomane, celle qui deviendra cheffe d’orchestre entre au conservatoire à 8 ans. Elle apprend d’abord le violon, un peu de piano, puis décroche son diplôme de musique arabe.

Élève brillante, titulaire d’un bac scientifique mention très bien, la bachelière refuse de suivre les voies attendues. « C’était un véritable défi, j’ai choisi la musicologie parce que c’était ma passion et mes parents m’ont fait confiance. » Discipline qu’elle étudie d’abord en Tunisie, devient première de sa promo, avant de décrocher en 2011 une bourse d’excellence qui la conduit à Paris.

À la Sorbonne, elle poursuit avec un Master puis un Doctorat consacré aux bandes-son dans les films de Youssef Chahine, travail qui lui vaudra d’être commissaire de l’exposition que la Cinémathèque française consacre au réalisateur en 2019.

Après son doctorat, elle devient chercheuse invitée à l’Université d’Arizona, puis mène un projet avec Harvard visant à transcrire des archives de musique arabe ancienne du début du XXᵉ siècle. La transmission, tout comme la scène, est au cœur de son engagement.

Conseillère scientifique pour l’exposition « Divas Arabes » à l’Institut du monde arabe en 2021, cheffe d’orchestre, musicologue, violoniste, entrepreneuse culturelle, cette trentenaire poursuit son chemin avec la conviction de porter une mission.

Et lorsque, sur scène, elle baisse les bras après un final éclatant, l’émotion est intense. Dans une salle comme le Bataclan, où la mémoire des événements tragiques d’il y a dix ans reste présente, ce moment prend une signification particulière. Il rappelle que la musique peut être un espace de partage et de résilience.

« L’art et la vie vaincront toujours ! », avance Amal Guermazi, citant Youssef Chahine et sa chanson Aali Sotak bel Ghona dans le film Le Destin (1997), comme un appel à élever sa voix et à célébrer la vie pour lutter contre l’obscurantisme.

 

Les 28 et 29 novembre au Bataclan, Paris
Hommage à Fairouz et aux Légendes arabes

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