Monia Rizkallah, les cordes du violon entre deux rives

La violoniste Monia Rizkallah, cheffe d’attaque à l’Opéra de Berlin et fondatrice d’El Academia.
Des salles de concert européennes aux scènes marocaines, la violoniste Monia Rizkallah fait dialoguer les mondes. Soliste à l’Opéra de Berlin et fondatrice d’El Academia, elle œuvre à transmettre l’élan qui a guidé sa propre histoire.
C’est dans une maison où résonnent à la fois les symphonies classiques et la voix d’Asmahan que Monia Rizkallah grandit, à Bordeaux, dans une famille immigrée marocaine. Son père, chauffeur-mécanicien, l’inscrit au conservatoire dès ses sept ans. Elle y rencontre Madame Vallée, sa première professeure de violon, et tombe autant amoureuse de son instrument que de la bienveillance de son enseignante. Pour payer les cours, sa mère, femme au foyer qui effectue des travaux de couture pour arrondir les fins de mois, troque des heures de ménage contre des leçons de musique pour sa fille. Ce geste d’abnégation scelle sa vocation précoce.
Son premier souvenir musical marquant ? « Mon père nous emmenait, mes sœurs et moi, aux concerts de l’Orchestre national de Bordeaux tous les samedis. Les lumières, l’effervescence avant le lever de rideau, cette ambiance festive… tout me fascinait. Un soir, j’ai entendu le Boléro de Ravel pour la première fois. Vingt minutes d’un crescendo hypnotique. À la fin, un coup de cymbales a réveillé une spectatrice assoupie, qui a crié et fait rire toute la salle, et surtout moi », se souvient-elle.
Aujourd’hui, Monia Rizkallah est cheffe d’attaque soliste à l’Opéra de Berlin, où elle vit depuis vingt-six ans. Dans cet univers d’exigence, elle s’impose par la rigueur et la détermination. Elle enseigne aussi à l’Académie orchestrale de l’Opéra, formant à son tour de jeunes musiciens venus du monde entier. De Paris à New York, du Japon à Beyrouth, sa carrière l’a menée sur les plus grandes scènes. Mais les moments les plus forts, confie-t-elle, sont ceux vécus au Maroc, lorsqu’elle se produit au Grand Théâtre de Rabat ou au centre culturel Fquih Lamnouni à Meknès. Là, dit-elle, « le public est très réactif ». Ces expériences l’ont révélée à elle-même : « Je suis Marocaine, et acceptée comme telle. »
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De ce sentiment d’appartenance est né El Academia, un projet de formation orchestrale qu’elle fonde après une tournée au Maroc en 2008. Huit ans plus tard, la première master class voit le jour. Le principe ? Des stages intensifs animés par des musiciens internationaux se concluant par des concerts et des tournées. Inspirée du modèle allemand, El Academia allie rigueur, exigence et joie partagée.
Aujourd’hui, l’ensemble réunit une cinquantaine de musiciens venus de tout le pays. « Au-delà des notes, on y apprend la ponctualité, l’écoute, la responsabilité », souligne la violoniste. La résidence du projet se situe désormais à l’INSMAC (Institut national de la musique et des arts chorégraphiques) de Rabat, à deux pas du Théâtre Mohammed V. Ce lieu, elle rêve de le voir devenir un véritable pôle d’excellence pour la formation musicale au Maroc.
Son engagement ne s’arrête pas là. Avec le programme “Opéra pour tous”, soutenu par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, elle veut faire entrer la musique classique dans les écoles. « La culture, c’est aussi vital que les mathématiques ou la physique », affirme-t-elle. Pour Monia Rizkallah, la culture n’est pas un luxe mais une nécessité, un levier d’émancipation et un moteur économique.
Cette année, Monia et son orchestre célèbrent le cinquantenaire de la Marche verte à Dakhla, le 6 novembre prochain, avec la création d’un opéra en plein air, le premier du genre au Maroc. Sur scène, 71 musiciens venus du Royaume mais aussi de Belgique, de Russie, d’Ukraine, du Vietnam, de Pologne et d’Espagne. Une rencontre symbolique, à l’heure où le monde se fracture, que de voir ces artistes d’horizons divers jouer à l’unisson la même partition. Entre Berlin et Rabat, et d’autres escales, Monia Rizkallah poursuit son chemin, fidèle à la vibration du Boléro de son enfance : une montée patiente et déterminée vers la lumière.
