Djamil Le Shlag : une voix fêlée comme un cri, un rire sans compromis

 Djamil Le Shlag : une voix fêlée comme un cri, un rire sans compromis

crédit photo : Benjamin Beraud

Il ne cherche pas la lumière — il la consume. Djamil Le Shlag, 42 ans, de son vrai nom Jamil Bouanani, débarque sur scène comme on entre en résistance. Silhouette sèche, regard clair, voix à vif. Pas de costume, pas de rôle : juste un micro, et une parole qui claque. Depuis avril, chaque samedi à 18h sur Radio Nova, il orchestre Les Grands Remplaçants — une émission comme un uppercut : brutale, nécessaire, radicalement vivante. Un espace ouvert à celles et ceux qu’on étouffe ailleurs : Noirs, Arabes, femmes, précaires. Le titre est une provocation : un doigt tendu aux fantasmes identitaires. L’émission, elle, refuse le ton tiède. Elle déborde. Elle dérange. Elle libère.

Et elle n’est pas qu’à lui. Les Grands Remplaçants, ce sont aussi Youness Hanifi, Mazine, Antoine Tartrat, Rey Mendes, Sarah Lélé, Lilia Benchabane, Marine Ella. Une bande soudée, une relève libre, imprévisible, essentielle. Une énergie de groupe qui résonne fort à l’antenne.
Djamil commence ses chroniques avec un rituel devenu signature :
« Hey les gars c’est incroooyaaable », clame-t-il, dans une diction volontairement poussée, chaque syllabe articulée comme un uppercut théâtral. Sa voix, déjà singulière, devient alors presque caricature, et pourtant : elle accroche. Elle captive. Elle impose.

Le shlag, le vrai

Son blaze, il ne l’a pas inventé — il l’a repris. À Vichy dans le quartier des Aigles où il a grandi, on l’appelait le shlag, le mec toujours un peu de travers, jamais tout à fait là où on l’attendait.
Une enfance heureuse aux côtés de ses potes du quartier, où il ne brille pas à l’école — pas parce qu’il est mauvais, mais parce que les profs, sauf celui d’histoire, ont du mal à l’intéresser.
À Paris, le mot « shlag » pue le mépris : toxico. Lui le retourne :
« Shlag, c’est celui qui sort du rang. Qui refuse les cases. Moi, je casse les codes, pas les gens. »
Le surnom devient manifeste. Une identité en creux. Une manière de rester à la marge, même quand on est au micro.
Et il le dit sans détour :
« J’ai une identité très forte que j’ai eue quand je suis arrivé à Paris par rapport à l’Auvergne. On est comme les Kabyles, on se sert les coudes entre Auvergnats. Mais je ne la ressentais pas quand je vivais à Vichy. »
C’est ce déplacement — physique, mental, géographique — qui a réveillé en lui une appartenance, une racine. Une force.

Le stand-up ? Même pas un plan

Il ne s’est jamais rêvé humoriste. En 2012, il quitte Vichy pour Paris. Pas pour percer. Juste pour voir. L’année suivante, il tente la scène. « Pour le kiff. » Et ça prend. Il parle de colo, de daronne, de baskets, de loyauté, de galères. Il rigole, on rigole. Alors il recommence. Il affine. Il écrit.
Rien de lisse. Rien de formaté.
Loin du stand-up aseptisé, Djamil balance des histoires qui sentent le vécu et des vannes qui cognent comme des souvenirs. En 2016, Nova le repère. En 2021, France Inter lui tend le micro de Par Jupiter!. Il arrive avec son franc-parler, ses “wallah” à l’antenne, ses phrases qui font tache dans les dîners en ville. Il ne joue pas le bon Arabe, poli, rieur, bien élevé. Il refuse le rôle. Il parle vrai. C’est tout.
Et il roule en C3 Aircross. Pas de voiture de star. Juste de quoi tracer sa route, à sa façon.

Pas de stratégie, une ligne

Quand Guillaume Meurice est suspendu pour une vanne sur le criminel de guerre Benjamin Netanyahou — une vanne pourtant validée par la justice — Djamil, lui, n’avale pas la couleuvre. Il quitte l’émission en direct le 5 mai 2024. Pas un mot à l’équipe. Pas de communiqué. Pas de calcul. Juste la ligne.
« Vous pensez faire peur à qui avec vos menaces de mise à pied ? Perso, je suis un Arabe en France, j’ai toujours été menacé de me faire virer. », annonce-t-il à l’antenne.
Et puis, la phrase qui claque comme une porte :
« J’en tire les conclusions en me retirant du service public après l’émission, c’était ma dernière chronique. »
Un souffle. Une césure. « Dans cette station, je ne me sens plus dans mon safe space. »
« J’ai pas aimé qu’on fasse pas grève », justifie-t-il encore.
Il agit comme il parle : sans filtre, sans manœuvre. Tenir debout, même seul. Ça coûte, mais il paie. Il préfère ça à trahir. Dans un paysage médiatique souvent tiède, cette intégrité le rend rare.

L’intime au centre

Djamil sait d’où il vient. Et il ne l’oublie jamais.
Son père était maçon. Sa mère, analphabète, a quitté Marrakech pour venir vivre dans une cité à Vichy. Elle ne l’avait jamais vu sur scène — jusqu’à ce soir de mai dernier, à Clermont. Elle est là, elle lui fait des coucous. Lui, il a les larmes aux yeux.
« Si elle n’aime pas, c’est la fin du monde », confie-t-il.
C’est ça, le noyau dur. Le socle. L’endroit d’où part tout ce qu’il raconte. Il peut supporter d’être incompris, mal reçu, rejeté. Mais pas par elle.

Une histoire simple, solaire

Aujourd’hui, Djamil vit à Marseille avec l’écrivaine Faïza Guène. Leur amour, c’est une ligne claire. Pas de cinéma. Pas de hiérarchie. Ils s’élèvent mutuellement, comme on tient un cap.
« Les gens pensent que c’est lui le rêveur un peu fou et moi la sérieuse, mais c’est faux. Il est très structuré. Il est même plus posé que moi. »
Pas de compétition, pas d’égo déplacé.
« C’est hyper épanouissant d’être avec lui », dit-elle.
Depuis qu’il est en couple avec Faïza, il lit un peu plus. Pas assez selon sa compagne, qui le charrie gentiment. Mais il lit. Et surtout, il écoute.
Papa poule, compagnon droit, artiste lucide. Ils ont quitté Paris à la naissance de leur fille. Direction Marseille. Le soleil, la mer, l’arabe dans la rue.
« On est enfants de paysans. On avait besoin de nature, pas de béton. »

Rester libre, durer

Des menaces, il en reçoit. Des pressions, aussi. Mais il ne plie pas.
« Ça glisse », lâche-t-il.
Il sait que ce n’est pas personnel. Il sait que l’extrême droite cherche à faire taire.
« Mais en face, ils n’ont pas les épaules. Qu’ils nous donnent des adversaires à la hauteur. »
Il le dit en riant. Mais il le pense.
Djamil n’a pas l’intention de se lisser, ni de disparaître. Il est là. Pour durer.
« Que demander de plus ? Je fais un métier que j’aime. Et je suis amoureux. »