A Toulouse, la clé de son indépendance

 A Toulouse, la clé de son indépendance

crédit photo : Fred Dufour / AFP


Depuis trois ans, le garage Lak’Auto, implanté à Bagatelle, propose des micro-formations pour les femmes et accueille de jeunes stagiaires. Souad Boudjella, la patronne, a voulu en faire un lieu de proximité. Une aventure récompensée par le prix Talent des cités. 


C’était en janvier 2018 et pas un média local n’avait fait l’économie d’un reportage sur le prix Talent des cités remis à la Toulousaine, Souad Boudjella, pour son garage de mécanique et carrosserie. Un an plus tard, la chef d’entreprise de 36 ans, n’a rien oublié de l’effervescence liée à cette récompense : “J’avais remporté le concours régional. Mais quand j’ai été lauréate au niveau national, beaucoup de journalistes ont débarqué, je ne m’y étais pas préparée, j’ai eu le trac ! Ce prix m’a donné beaucoup de fierté, parce que les gens du quartier sont venus nombreux nous en parler, nous dire que ça leur faisait plaisir…”


 


“J’avais l’envie d’être ma propre patronne”


Au cœur du quartier Bagatelle, son garage Lak’Auto semble avoir toujours eu sa place dans ce recoin de la rue Henri-Desbals, où il est discrètement implanté. C’est presque le cas. “Il y a trente ou quarante ans, c’était un garage Shell. Ensuite, ça a été tenu par un Portugais, puis par un Black, puis par un Français. Il a été fermé pendant deux ou trois ans. Et puis Souad l’a repris”, explique Patrick, 58 ans, carrossier, l’un des trois salariés, et ami de longue date de la patronne Souad Boudjella. Elle, a grandi dans une barre d’immeuble à deux rues de là et se souvient : “Quand j’étais petite, c’est ici que je venais faire gonfler mon vélo…” Et puis l’enfant de la cité, devenue adulte, a travaillé comme auxiliaire de vie pour personnes âgées, jusqu’à ce qu’un accident de travail, en 2015, la contraigne à envisager une réorientation professionnelle. “Il y avait une opportunité de reprendre ce garage dans mon quartier d’enfance. J’avais aussi cette passion pour les voitures et l’envie d’être ma propre patronne”, raconte-t-elle. Tous les ingrédients étaient là.


 


“Leur apprendre l’entretien de base d’une voiture”


Après s’être fait épauler par une structure d’aide aux entrepreneurs, elle se lance dans l’aventure. Un garage de carrosserie (avec une cabine de peinture) et de mécanique générale (avec un pont), auquel elle a apporté tout de suite une touche “sociale” : “J’ai voulu proposer des stages pour les femmes, pour qu’elles apprennent l’entretien de base d’une voiture : changer les essuie-glaces, surveiller les niveaux, tenir le carnet d’entretien, etc.” Lak’Auto propose des modules de formation d’une demi-journée, gratuits et en petits groupes de huit. “C’est un garage de quartier, c’est important pour moi d’entretenir cette proximité”, résume la patronne. En ce jour de février, Fatima, la trentaine, native du quartier, est là. Cette ancienne boxeuse de bon niveau formée à Bagatelle* confirme : “C’est important un garage, surtout pour les jeunes qui ne peuvent pas faire de ménages, ça peut leur donner du boulot. Et puis moi, j’ai appris à remonter les pneus !” Justement, devant elle, Yassine, Wail, 16 ans et Mohamed, 17 ans, tous en bleu de travail, observent Houari, un élève de troisième de 14 ans, qui achève sa semaine de stage d’observation, dans son exercice de démontage-remontage de pneu. Ses trois camarades sont, eux, en classe de seconde ou de première en lycée professionnel. Horizon BEP, puis bac pro. Deux veulent devenir mécaniciens-­carrossiers, un autre faire de la mécanique en aéronautique. Trois viennent du quartier, le quatrième du centre-ville. “C’est proche de chez nous, c’est bien, on connaît une partie des gens qui passent ici, note Yassine. Et le fait que la patronne soit elle aussi du quartier, ça permet de lui parler et d’être plus à l’aise avec elle.”


Les jeunes travaillent sous l’œil de Moustapha, 41 ans, un Algérien “né à Mostaganem”, garagiste de formation, diplômé en 1997, arrivé en France en 2014, et installé avec sa famille dans le département voisin du Tarn. Il a d’abord eu du mal à trouver du travail dans la région après avoir quitté un premier garage : “Je crois que beaucoup n’ont pas voulu m’employer parce que j’étais arabe”, résume-t-il sobrement. En 2016, il a été embauché par Lak’Auto, où il est chargé de la mécanique générale. Depuis, il fait la route matin et soir entre son domicile dans la campagne tarnaise et son lieu de travail. Ravi lui aussi de l’ambiance “quartier” qui y prévaut : “Avec la clientèle, ça se passe plutôt bien, on rigole, on donne des coups des mains…”, se félicite-t-il.


 


“On essaie d’arranger les gens”


Une clientèle qui vient pour beaucoup des quartiers de Bagatelle et de La Faourette, insérés dans la zone du Grand Mirail, au fort taux de chômage. “On essaie d’arranger les gens en permettant des règlements en plusieurs fois, par exemple”, explique Patrick. Si elle ne rechigne pas à mettre un peu les mains dans le cambouis, notamment pour les stages, Souad, elle, mère de famille, se consacre plus à “la partie administrative et à la gestion” de sa petite entreprise. Et raconte avec humour sa cohabitation avec les praticiens de “mécanique sauvage” qui travaillent dans le quartier : “Dès fois, on les laisse accéder à un bout de parking pour pouvoir mieux travailler. Une fois, il y en a quand même un qui a essayé de nous piquer une cliente ! Mais c’est anecdotique, ça se passe plutôt très bien et sans tension…”


Doté d’un vaste parking à l’arrière et d’un sous-sol, qui devrait prochainement accueillir un nouvel espace de “lavage éco”, Lak’Auto pourrait faire des petits : Souad Boudjella commence à envisager d’ouvrir une structure du même type “dans un autre coin de la ville”. Pas tout de suite, mais ça pourrait venir : “Avec cette expérience, j’ai appris beaucoup de choses, confie-t-elle. Et peu à peu, on prend de l’assurance…” 

Emmanuel Rionde