Migrants, l’attitude paradoxale des partis politiques

 Migrants, l’attitude paradoxale des partis politiques

crédit photo : Josephe Lago/AFP


Les formations qui défendent les réfugiés ne sont pas nombreuses. Echéances électorales, attaques terroristes, questions identitaires… autant de pressions sur un positionnement rendu électoralement peu rentable pour les politiques français et européens, lesquels cultivent les ambiguïtés.


Face à la question migratoire, les repères politiques se brouillent, autant que les positionnements. Même si la gauche est traditionnellement reconnue – parfois à tort – pour ses positions d’ouverture, une certaine droite libérale est aussi encline à ouvrir les portes de l’Europe. En 2015, Pierre Gattaz, président du Medef, en faisait même “une opportunité pour notre pays”. De la main-d’œuvre qualifiée et moins chère : une aubaine ! La même année, Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, proposait “d’accueillir 100 000 réfugiés”, sous condition qu’ils réalisent des “travaux d’intérêt général”, et que le gouvernement mette fin aux migrations économiques, ainsi qu’au regroupement familial.


A gauche, les positions divergent. Si le PCF et les Verts prônent l’ouverture à l’accueil, le Parti socialiste se déchire sur la question, alors que la France insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon joue l’ambiguïté.


 


Postures électoralistes


Le 20 mars, face à François Fillon, qui proposait d’établir un quota d’immigration, le leader de FI lance : “La priorité va à l’amélioration des conditions d’accueil des ­migrants.” En septembre 2016, Mélenchon affirme pourtant ne jamais avoir été favorable à “la liberté d’installation”. Quatre mois plus tard, il enfonce le clou : “Si on ne veut pas que les gens viennent, il vaut mieux qu’ils ne partent pas (…)”, orientant sa priorité sur l’arrêt du flux migratoire. Et de fustiger les travailleurs détachés roumains “qui volent le pain des Français” – des propos qu’il regrettera par la suite. Une façon de garder un électorat de gauche tout en caressant “les nationalistes dans le sens du poil”, selon un leader communiste. Un cadre de la FI confie même au Figaro : “Il faut être réaliste. Si nous adoptons la même ligne que les formations d’extrême gauche sur l’immigration, dans le contexte actuel, nous sommes morts politiquement. Contrairement à certaines formations, nous avons vocation à gagner les élections.” Cette vision électoraliste résume bien la ­situation, en France et en Europe.


 


La valse-hésitation des Européens


On se souvient de la décision “généreuse” d’Angela Merkel face à la crise migratoire, motivée notamment par un taux de fécondité dans le pays ne permettant pas le renouvellement de sa population. Si, en 2015, la chancelière avait ouvert ses portes à plus d’un million de réfugiés, elle s’est ravisée depuis la polémique autour des agressions sexuelles de Cologne, en janvier 2015, et les attentats de Berlin de décembre 2016. Lors d’un débat face à Martin Schulz, son principal adversaire à la chancellerie, début septembre, la chef de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), a concédé avoir fait “quelques erreurs”. Aujourd’hui, elle souhaite faciliter les expulsions. Le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, avait déjà expliqué, en octobre 2016, devant ses homologues européens, que “les personnes qui sont sauvées en Méditerranée devraient être ramenées dans des hébergements sûrs en Afrique du Nord” où “nous mettrions en place un mécanisme de réinstallation en Europe avec des quotas généreux, répartis équitablement entre pays”. Accueillir les migrants d’accord, mais triés sur le volet, et de préférence au loin.


En Italie, le Mouvement 5 étoiles, considéré de gauche radicale, se montre très virulent contre les migrants, contrairement à d’autres représentants de la gauche radicale européenne tels que Die Linke, en Allemagne, ou Podemos, en Espagne. Ce dernier est cependant surtout actif au niveau local, comme à Barcelone, membre du mouvement Solidarity Cities, dans lequel de nombreux maires espagnols, italiens, grecs, suisses et norvégiens s’organisent pour venir en aide aux réfugiés. Parmi eux, on retrouve des sociaux-démocrates, des libéraux, des populistes de gauche…


Du côté italien, la majorité des édiles sont cependant membres du Parti démocrate, lequel est au pouvoir. Classée centre gauche, cette formation est la plus investie sur la question migratoire outre-Alpes, alors même que son ministre de l’Intérieur, Marco Minniti, se targue d’avoir réduit de 70 % les débarquements de migrants en Italie ! Sur la question migratoire, les paradoxes n’effraient personne. 


 


CATHERINE WIHTOL DE WENDEN, Directrice de recherche au CNRS, politologue, spécialiste de la question migratoire.


“Les Verts sont les plus ouverts”


 


Le clivage gauche-droite sur la question migratoire est-il pertinent ?


Non. Nous sommes face à un clivage des autoritaires face aux libéraux. Les premiers veulent fermer les frontières, les seconds les ouvrir. Chez les autoritaires, on trouve le Front national, mais aussi des gens qui s’affirment “de gauche”, comme Manuel Valls. De l’autre côté, les Verts sont dans une logique d’ouverture pour des raisons humanitaires, alors que la droite libérale se positionne dans une logique d’afflux de main-d’œuvre. La parole du pape a eu aussi beaucoup d’impact sur les mouvements d’obédiences chrétiennes. Mais, en France, cela se répercute surtout dans le monde associatif, car il n’existe pas de parti chrétien influent.


 


Comment jugez-vous le positionnement de Jean-Luc Mélenchon ?


Le leader de la France insoumise est très ouvert sur la question migratoire. Toutefois, son discours populiste sur la problématique du travail crée des ambiguïtés. Il a un positionnement nationaliste à propos de la mise en concurrence avec les salariés français sur le marché du travail. Les mouvements sociaux ne sont pas toujours favorables aux migrants, car ils visent essentiellement à protéger les travailleurs nationaux.


 


Quels sont les partis pro-migrants en Europe ?


Il y en a peu. Selon moi, les Verts restent le parti le plus ouvert et le plus cohérent en matière migratoire sur le continent européen. En Autriche, où le Président est un écologiste, les dernières élections face à l’extrême droite se sont jouées sur cette thématique, et les Verts ont gagné.


 


On a l’impression que la mobilisation des autres forces politiques européennes s’organise à des niveaux plus locaux, comme les mairies…


Oui, car c’est plus facile et cela coûte moins cher politiquement. Ce qui permet aux partis de gouvernement d’être moins marqués sur un sujet qui s’apparente à une patate chaude. En France, personne ne veut frontalement aborder cette thématique en période électorale tant les contradictions sont légion.


 


On voit aussi cette volonté de distinguer le migrant économique du réfugié. Qu’en pensez-vous ?


C’est une distinction artificielle. D’une part, le réfugié est un migrant parmi d’autres. Ensuite, la thématique de la misère a ses limites : ce ne sont jamais les plus pauvres qui partent. Il s’agit plutôt de gens issus de la classe moyenne, qui désespèrent de leur pays, qui ont des projets d’avenir, quand ils ne fuient pas clairement des pays en guerre ou des persécutions. Les plus pauvres, eux, restent sur place et tentent de gérer le quotidien.


LA SUITE DU DOSSIER DU COURRIER : MIGRANTS, CETTE FRANCE SOLIDAIRE


Flagrants délits de solidarité


Michel Sitbon, libraire citoyen


Herrou malgré lui


 


Des arméniens au village


MAGAZINE OCTOBRE 2017

Nadia Sweeny